« Israël est indestructible »

Un militaire israélien. Photo: IStock

Si la politique proche-orientale était un jeu d’échecs, il serait passé maître dans l’art de damer le pion de ses adversaires. Car Efraïm Halévy est un expert en stratégie et tire, dans l’ombre, les ficelles de la scène israélo-palestinienne depuis des années. Ancien directeur du Mossad, les services secrets israéliens, cet homme mystérieux a été le conseiller des cinq derniers premiers ministres israéliens.

A la tête, pendant six ans, du deuxième service de renseignements le plus puissant du monde, le septuagénaire a plus d’un ennemi. C’est lui qui instaure la politique d’assassinats ciblés de certains leaders palestiniens, dont plusieurs chefs du Hamas. Lui qui conseille à Sharon d’enfermer Yasser Arafat dans ses quartiers généraux, avant son décès. Dans une récente interview, il déclarait ne regretter aucun des meurtres qu’il a commandités. Rencontre avec un homme qui s’est donné pour mission depuis 1948 de protéger Israël, quel qu’en soit le coût.

L’établissement d’un Etat palestinien est-il possible ?

Les Palestiniens ont eu plus d’une occasion de construire un Etat, mais ils s’en sont montrés incapables jusqu’à présent. L’actualité prouve que ce peuple est totalement divisé. On est face à une Autorité palestinienne sans aucune autorité. Les Palestiniens sont à la recherche d’une vision, un espoir que seul leur gouvernement pourra leur donner. Et il ne remplit pas son rôle.

Nous ne pouvons rien faire pour eux, car il est impensable de leur imposer un système politique venu de l’extérieur. Et je constate que jusqu’à présent, tout ce qu’ils ont tenté de mettre en place a échoué. Une question fondamentale se pose donc, à laquelle ils doivent répondre: ont-ils la capacité de diriger un pays ? De créer un gouvernement viable ?

Que pensez-vous de la politique occidentale au Proche-Orient ?

La pensée politique européenne ou américaine au sujet de l’Etat ou de la démocratie n’est pas forcément exportable dans la région. Les éléments déterminants de l’identité arabe sont la religion et la tribu. Jamais la nation. L’établissement d’une communauté nationale, d’un Etat, est donc extrêmement problématique, on le constate dans le cas palestinien. Et voyez l’Irak, dont les frontières, comme toutes celles du Proche-Orient, ont été tracées par des Européens. Est-elle une nation, dans le sens occidental ? Survivra-t-elle à ses déchirements ? Rien n’est moins sûr.

Craignez-vous l’apparition d’une troisième Intifada après les derniers événements dans Gaza ?

Non. Les Palestiniens de Cisjordanie, qui pourraient se révolter, sont épuisés. Ils n’ont pas la force de se soulever en masse: c’est ce que révèle le dernier rapport du Mossad à ce sujet. Cependant, un proverbe juif dit: « Heureux l’homme qui demeure en permanence dans la peur ». Nous sommes donc tout le temps sur nos gardes.

Vous avez organisé l’assassinat de nombreux leaders du Hamas et du Hezbollah. Eliminer, est-ce une solution ?

Israël est en guerre. Toute confrontation militaire dans le cadre d’une guerre est synonyme de destruction, ce qui est regrettable. Ce n’est pas le meilleur moyen de parvenir à la paix. Mais je vous rassure, nos ennemis s’en sortent hélas! bien. Saviez-vous que le Hezbollah a réussi à augmenter sa force militaire après la dernière guerre au Liban ? Et que le Hamas, financé par le président Ahmadinedjad, s’entraîne en Iran ?

Quelle est votre position concernant les pourparlers avec les dirigeants du Hamas ?

Israël doit négocier avec eux. Il y a quatre ans, certains ont cru que les services secrets m’avaient rendu fou quand j’ai soutenu ce point de vue. Officieusement, un contact existe même s’il subsiste à travers des intermédiaires égyptiens, qui ont aidé dernièrement à instaurer un semblant de trêve à Gaza.

Le Hamas doit faire partie des solutions, pas des problèmes. C’est d’ailleurs l’opinion des Israéliens. Dans un récent sondage, 64% d’ entre eux estimaient qu’il faut négocier avec ce mouvement. Et – parfois – il faut savoir écouter l’opinion publique.

Israël refuse le dialogue avec le Hamas, pourtant élu démocratiquement…

On ne va pas aux urnes l’arme au poing. L’histoire de l’élection du Hamas est très regrettable car elle fait suite aux graves erreurs du Fatah. Les Etats-Unis ont autorisé ces élections puis, voyant les résultats, ils se sont retractés. On ne peut pas totalement les délégitimer à cause de l’opinion publique mais ils ne sont pas pour autant autorisés à gouverner. La situation est très délicate.

Que conseillez-vous au prochain président américain au sujet d’Israël?

Il devra en premier lieu prendre quelques mois de réflexion au sujet de ce conflit. Lire, s’informer, et réfléchir. La complexité de cette situation exige un président conscient de tous les enjeux. Quelle que soit sa couleur politique d’ailleurs, puisque j’estime n’avoir aucune leçon à donner aux Américains en ce qui concerne la manière de gérer leurs affaires. Et j’attends d’eux la même attitude en ce qui concerné la politique intérieure israélienne.

Comment estimez-vous la menace que représente l’Iran ?

Nous la prenons très au sérieux, mais Israël est indestructible. L’Iran veut nous attaquer ? Nous affronter ne sera pas une partie de plaisir, c’est une promesse. Une guerre contre nous irait à l’encontre de leurs intérêts. Bien sûr, entre les propos de leur président et l’enrichissement en uranium, tout semble réuni pour provoquer une guerre. Mais rappelez-vous une chose: Ahmadinedjad a été élu car son peuple croyait qu’il pourrait réduire le taux de chômage. Or, plus de 40% d’Iraniens n’ont pas d’emploi. Il est en train d’échouer, et son peuple a faim. Lors de la dernière manifestation à Téhéran, c’est «mort à Ahmadinedjad» et non «mort à Israël» qui a été scandé dans les rues …

Quelles perspectives pour les pourparlers israélo-palestiniens, à l’heure actuelle ? Voyez-vous des solutions ?

Si j’ en avais une, je serais Prix Nobel de la paix, et ce n’est pas le cas (rires). Nous sommes dans une situation de gestion de conflit: notre but est de réduire les tensions immédiates. Mais pour l’instant, nous ne cherchons pas à résoudre le conflit. Car soyons réalistes, personne ne dit qu’un accord de paix sera conclu en 2008, et personne dans la région n’est assez fou pour croire que l’accord serait immédiatement appliqué. Il est probable que les deux parties attendent des jours meilleurs pour mettre en place ce qui a été décidé lors de négociations, s’il y en a.

Pour ma part, je garde la tête froide. Des promesses sont faites, qui restent lettre morte. Il faut donc demeurer réalistes. Tant que notre Etat ne figurera pas sur toutes les cartes de leurs manuels de géographie, rien ne sera possible.

On dit que le Hamas aurait été créé par le Mossad pour diviser les Palestiniens …

C’est une théorie qui est apparue après le 11 Septembre, et elle est totalement absurde. Ce n’est pas dans notre intérêt et Israël n’a jamais cherché à faire la loi dans la société palestinienne. Tous les drames du Proche-Orient ne peuvent être imputés au Mossad.

 

Efraïm Halévy est né en 1934 à Londres, d’une famille juive religieuse. II émigre en Israël en 1948 et entre au Mossad en 1961 dont il devient le directeur adjoint. puis le directeur en 1998. II a joué un rôle de premier plan dans la signature du traité de paix israélo-jordanien. Conseiller personnel des cinq derniers premiers ministres israéliens, il dirige actuellement le Centre d’études stratégiques et politiques de l’Université hébraïque de Jérusalem. Efraim Halévy a écrit un livre, L’homme de l’ombre, dans lequel il raconte les expériences qu’il a vécues en plus de quarante ans au sein du Mossad.