Un rabbin presque comme les autres

Photo: IStock

Pauline Bebe est la deuxième femme en Europe à occuper la fonction de rabbin. Ce qui est possible uniquement chez les juifs libéraux.
Elle est une pionnière. Car elle explore au féminin une profession bien particulière: rabbin d’une communauté juive libérale de Paris. Des chants du shabbat au recueillement de Yom Kippour, des «mazal tov» nuptiaux à la solennité des enterrements, Madame le rabbin guide les siens à la lumière de 5765 ans d’une tradition juive riche et innovante.

Enthousiasme ou indignation, sa vocation ne laisse personne indifférent. Surtout pas les juifs orthodoxes, pour lesquels hommes et femmes sont complémentaires… mais pas égaux. La femme serait plus proche de Dieu, car plus portée sur la vie intérieure. L’accomplissement de certains rites visant à se rapprocher du Créateur n’est donc pas obligatoire, voire interdit. Et dans certains milieux, elle ne peut enseigner aux hommes: le rôle de la femme appartient donc à la sphère privée. Toutes ces règles, suivies actuellement par les Juifs orthodoxes, se sont cristallisées au XVIe siècle dans le «Shoulkhan Aroukh», un recueil de lois.

Coup de théâtre sur la scène religieuse, le judaïsme libéral est né à la période des Lumières. Contrairement à l’orthodoxie, il considère que les règles peuvent évoluer selon l’époque. Il est donc possible qu’une femme devienne rabbin. Et ces dames ne se sont pas fait prier: on en compte aujourd’hui environ huit cents, principalement aux Etats-Unis. Pauline Bebe est la deuxième femme en Europe à occuper cette fonction. Et on la croit volontiers lorsqu’elle affirme dans un petit rire malicieux qu’«il a fallu convaincre».

Pourquoi êtes vous devenue rabbin?
Née dans une famille libérale, je me passionne pour le judaïsme depuis toujours. Adolescente, je voulais étudier philosophie ou judaïsme: j’ai pensé que devenir rabbin était le meilleur moyen d’allier les deux. J’ai donc étudié dans un centre de formation rabbinique libéral en Angleterre. Mon entourage a été très surpris et s’est demandé si mon vœu était réalisable. J’étais la première en France, il a fallu que je trace le chemin…

Comment avez-vous été acceptée par la communauté?
Même si le judaïsme réformé prône l’égalité entre hommes et femmes, ma nomination allait à l’encontre de certaines idées reçues. Il a fallu un certain temps avant que je me fasse accepter par tout le monde.

Quelle est la différence entre le judaïsme orthodoxe et libéral?
Le judaïsme libéral estime que le judaïsme, une révélation progressive, a toujours évolué et a été influencé par le contexte socioculturel. Le judaïsme orthodoxe estime lui qu’il n’y a rien à ajouter à la révélation historique faite à Moïse. Avec des conséquences sur la vie quotidienne moderne, qui doit être adaptée à de très anciennes règles.

Le rôle de la femme évolue-t-il dans le milieu orthodoxe?
Pour ce judaïsme, la place de la femme est dans la sphère familiale. Mais les rôles commencent à évoluer, même dans l’orthodoxie. Il y a maintenant des femmes avocates dans les tribunaux religieux. Et lorsque nous avons rédigé un commentaire féminin de la Torah, des femmes orthodoxes y ont participé.

Qu’en est-il de la conversion?
Nous y sommes plus favorables que les orthodoxes. Le peuple juif a toujours été très favorable à la conversion, un des premiers facteurs de sa survie. Le repli de la communauté a commencé lorsque l’empereur Constantin, une fois l’empire romain devenu catholique, a interdit la conversion au judaïsme. Des juifs ont été menés au bûcher. Cela n’encourage pas l’ouverture…

Peut-on dire que le judaïsme est une religion?
Non puisqu’il n’y a pas de séparation entre un domaine laïc et religieux, Torah et Talmud englobent absolument tous les aspects de la vie. Le mot religion n’existe d’ailleurs pas en hébreu. Il a été emprunté au perse. Les juifs sont donc un peuple avec une philosophie et une tradition.

Quel lien le judaïsme libéral entretient-il avec Israël?
Le siège du mouvement libéral se trouve à Jérusalem, car nous sommes attachés à Israël. Mais nous affirmons, contrairement aux orthodoxes, qu’il est possible de vivre le judaïsme en dehors du pays: l’alyah (n.d.l.r.: le retour en Israël) n’est pas une obligation. Et dans nos prières, contrairement aux orthodoxes, nous demandons la paix en Israël, pas le retour du peuple juif.

Que pensez-vous de l’offensive israélienne sur Gaza?
Nous savons peu de choses sur ce qui s’est vraiment passé car cette guerre est aussi une guerre de la désinformation. Je crois que nous découvrirons les vraies responsabilités dans le semaines qui viennent, quand des enquêtes sérieuses auront été faites.

Comment voyez-vous l’avenir d’Israël?
J’ai confiance en l’avenir. Un Juif doit toujours être optimiste. (Sourire). Et ça, c’est une obligation.

Un rabbin presque comme les autres