Une synagogue en liberté

une-synagogue-en-libertejpg_page1Les juifs libéraux de Genève ont un nouveau centre communautaire. Visite et explications rabbiniques.

Quinze ans de réflexion et de travail. C’est tout le temps qui aura été nécessaire à la construction du nouveau centre de la communauté juive libérale de Genève, inauguré en mars à la route de Chêne. Le résultat est là: sobre et élégant, l’édifice, discrètement niché dans la verdure, épouse harmonieusement la nature environnante. Un vrai succès et un regain de vitalité pour les mille cinq cent juifs libéraux de Genève, qui bénéficient enfin d’un nouvel espace religieux et social après s’être sentis à l’étroit dans le centre du quai du Seujet. Depuis 1994, leur nombre a triplé sous l’effet du succès du mouvement libéral, un des courants du judaïsme qui prône l’adaptation de la loi juive à la vie moderne et l’évolution des pratiques. Il fallait donc bien ce petit bijou d’harmonie et de modernité pour marquer l’évolution. Cependant, pas question d’oublier les drames du passé. Ainsi, lorsqu’on arrive devant le centre, un impressionnant triptyque appelé «Mémoire» attire l’œil. Une artiste a gravé un bas-relief en trois parties, illustrant les étapes du douloureux événement que fut la Shoah.

Monde chaleureux
Après avoir montré patte blanche à la sécurité de l’entrée, le visiteur voit un monde chaleureux s’ouvrir devant lui. Dans ce vaste espace sur trois étages se côtoient salle communautaire, mikveh, salles de classe, cuisine… et bien sûr la synagogue, cœur de la vie spirituelle. Sur un mur de la salle communautaire, la deuxième partie de l’œuvre sur la persécution des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Un beau tableau intitulé «L’avenir» représente un arbre, symbole de la vie qui continue et de l’héritage à transmettre. C’est d’ailleurs à cela qu’est occupé le rabbin François Garaï, absorbé, dans la synagogue, par les préparatifs d’une bar mitzvah, la célébration de la majorité religieuse d’une fille, à 12 ans. Elle aura lieu dans quelques minutes et réunira, côte à côte, hommes et femmes.

Car, contrairement au judaïsme orthodoxe, le mouvement réformé prône une parité totale. Ce n’est pas tout: un piano accompagne les chants, lus également en français et en anglais… inconcevable pour la majorité des juifs orthodoxes! Assise dans la synagogue, je demande au rabbin pourquoi le centre a une forme si particulière. Il sourit. «C’est le fruit de l’inspiration d’un des deux architectes qui ont fait les plans de l’endroit. Le centre a été construit sur le modèle du shofar, un instrument de musique en forme de corne et utilisé à deux occasions dans l’année: lors du Nouvel-An juif et à Yom Kippour, la fête du Grand Pardon.» L’idée fait de l’édifice le seul lieu communautaire juif du monde qui ait cette forme particulière. «Bâti ainsi, le centre s’inscrit parfaitement dans la parcelle de terrain», souligne François Garaï. Une harmonie avec la nature tant extérieure qu’intérieure: le bâtiment a reçu le certificat MinergieP, qui récompense l’adéquation aux normes écologiques les plus strictes. «C’est un vœu des jeunes de la communauté. Ils ont suivi les valeurs juives, qui recommandent le respect envers la nature», indique le rabbin.

Symbolique juive
Ecologique et élégant, le centre est également le fruit d’une réflexion profonde sur la manière d’exprimer la symbolique juive. Ainsi, tout a été calculé jusque dans les détails. Tout d’abord, les cinq ouvertures de la synagogue rappellent les cinq premiers commandements. De la même manière que celles du temple de Jérusalem, elles sont plus larges à l’intérieur qu’à l’extérieur. La synagogue repose également sur cinq montants, incarnant les cinq autres commandements. Les dimensions, elles non plus, n’ont pas été choisies au hasard. La largeur de l’arche de la synagogue? 248 cm, pour les 248 commandements positifs que doit suivre tout juif religieux. Sa hauteur: 365 cm, pour les 365 commandements négatifs prescrits par la Torah. Quant à la façade du bâtiment, elle est soutenue par sept piliers, un nombre évoquant perfection et plénitude et qui rappelle le nombre de bougies sur la menorah, le candélabre incarnant la présence de Dieu. Il est temps de s’éclipser.

Je demande au rabbin Garaï ce qu’il souhaite à ce centre communautaire. La réponse fuse: «Qu’il soit rempli de vie!» Vœu exaucé: au moment même où il me répond, famille et amis de la jeune fille fêtée entrent dans la synagogue, dans les rires et les embrassades. La bar mitzvah peut commencer.
Une synagogue en liberté