« Comment ont-ils pu faire ça? »

comment-ont-ils-pu-faire-cajpg_page1Mgr Athanase Matti Shaba Matoka est archevêque de Babylone des Syriens à Bagdad. Sa cathédrale a subi l’attaque d’Al-Qaïda le 31 octobre dernier. Il est menacé de mort… mais reste optimiste.

Cela fait plus d’un demi-siècle qu’il prie, agit, parle pour les chré- tiens d’Irak. Persécutions, kidnappings, assassinats, exil massif – 80% de ses fidèles ont quitté le pays – face aux drames, Mgr Matoka refuse de se décourager. C’est désormais en Europe qu’il cherche du secours: l’archevêque était au Parlement européen, à Strasbourg, du 13 au 16 décembre, en compagnie de Mgr Georges Casmoussa, archevêque de Mossoul des Syriens, et Mgr Shlemon Warduni, évêque auxiliaire de Babylone des Chaldéens. De retour à Bagdad, il nous a accordé un long entretien. Un entretien que le religieux en danger de mort conclura par un vibrant: «Joyeux Noël! Et que les anges chantent la paix sur le monde comme à Bethléem, la nuit de la naissance de notre prince Jésus!

Avez-vous l’impression que les Occidentaux en font assez pour les chrétiens d’Irak?
L’attaque de notre chère église a fait réagir le monde entier, et j’ai bien senti l’indignation des Européens lors de ma visite à Strasbourg, où les membres du Conseil de l’Europe m’ont promis de faire leur maximum pour aider le gouvernement à rétablir la sécurité. La situation est urgente. Des Irakiens meurent chaque jour dans des circonstances horribles et les chrétiens de ce pays vivent dans une angoisse terrible.

Etre chrétien sous Saddam Hussein, était-ce mieux?
Nous ne le regrettons pas, il a commis des crimes atroces. Mais à son époque, le terrorisme sur fond de tensions religieuses n’existait pas. Cela fait très longtemps que j’occupe une position ecclésiastique: j’ai été évêque à Bagdad pendant trente-neuf ans après avoir connu la prêtrise pendant plus de dix-huit ans. Je travaille au diocèse de la cathédrale depuis vingt-sept ans. Eh bien à mes débuts, la situation était parfaitement vivable. Croyez-moi, personne n’imaginait qu’un jour, on en arriverait à un tel chaos! Les institutions ne fonctionnent plus, personne ne sait plus à qui se fier… A tel point qu’on ne sait finalement pas qui se trouve derrière l’attaque de votre église… Je dois dire que je me demanderai toujours pourquoi la cathédrale, d’ordinaire protégée le dimanche, ne l’était pas ce jour-là. Je ne sais pas qui a fait cela, mais une chose me hante. Saviez-vous qu’alors qu’ils mitraillaient les femmes, les enfants, les vieillards, les membres présumés d’Al-Qaïda invoquaient le nom de Dieu? Le nom de Dieu, dans mon église, en massacrant des chrétiens qui priaient… (silence). Comment ont-ils pu faire cela?

Vous-même êtes en danger de mort…
J’ai confiance en la Providence. Il n’y a rien d’autre à faire puisque je peux être assassiné à n’importe quel moment, chez moi en vous parlant au téléphone ou dehors en allant visiter des fidèles. La protection autour de nous a été renforcée depuis cet attentat, mais on ne peut rien garantir et je dois me dé- placer le moins possible. La vie est devenue très pénible depuis cet attentat…

Comment se passe le quotidien des chrétiens autour de vous?
A Bagdad comme à Mossoul, les écoles et les universités sont quasi fermées et depuis l’attaque fin octobre, les chrétiens n’osent plus sortir de chez eux. Nous avions pourtant fait des démarches pour obtenir l’ouverture d’une école primaire et secondaire dans un village près de Mossoul, mais tout a été arrêté. La vie est suspendue. Les gens doivent bien sûr aller travailler, mais c’est dans la peur, et de nombreux enlèvements ont lieu.

Croyez-vous encore en l’avenir des chrétiens en Irak?
J’ai confiance en la Providence, je mets tout mon espoir en le Christ et je prie pour que la grâce et la confiance de Dieu soient présentes dans les âmes. Bien sûr, l’existence des chrétiens d’Orient est menacée mais il faut tenir bon et croire en l’avenir. On ne sait jamais, les choses pourraient s’améliorer. Un nouveau cabinet politique vient d’être mis en place, c’est peut-être le signe que tout va aller mieux?

Comment allez-vous fêter Noël?
Discrètement. Il est hors de question de se montrer dans la rue. Mais de nombreux chrétiens de Bagdad m’ont instamment demandé de dire la messe de minuit dans la cathédrale qui a été attaquée. Alors, nous allons prier ensemble, car la prière donne du courage au cœur et à l’âme en ces temps de désespoir. La sécurité sera renforcée, paraît-il… mais personne ne sait ce qui peut se passer dans ce pays. Moi, je célébrerai la naissance du Christ notre Seigneur. Le reste appartient à Dieu.

« Comment ont-ils pu faire ça? »