Une femme lutte contre l’Iran des mollahs

une-femme-luttejpg_page1L’Iranienne Shirin Ebadi, première femme musulmane à recevoir le Prix Nobel de la paix, était en Suisse pour raconter son combat.

Shirin Ebadi est une petite dame qui a décidé, un jour, qu’elle ne plierait pas. A la voir, on se dit que le combat des mollahs iraniens pour la faire taire est perdu d’avance. Port altier et geste élégant, dans son blazer d’un blanc immaculé, madame la juge serre la main de ses interlocuteurs avec fermeté en les regardant droit dans les yeux. Elle était à Lausanne le 20 juin dernier à l’invitation de la Faculté d’économie de l’Université qui fêtait ses cent ans.

Shirin Ebadi n’en a que soixante-quatre (elle a fêté son anniversaire le 21 juin), mais elle est une battante depuis toujours. En 1974, elle devient la première femme juge d’Iran. Elle a vingt-sept ans, elle est brillante, mais elle doit s’armer de patience avant de dénicher un homme «qui n’ait pas peur de ne pas pouvoir s’en sortir dans les disputes conjugales avec un ‘parce que j’ai dit que c’était comme ça’ et un claquement de porte», précise-t-elle avec humour dans son autobiographie. Son mari, Javad Tavasolian, sera son soutien le plus précieux. Avec lui, elle goûte pendant quelques années à une vie de famille tranquille, entre son métier et l’éducation de ses deux filles.

Mise au placard
Mais le destin politique de l’Iran la rattrape. Accusé de soumission à l’Occident, le shah est toujours plus impopulaire. Un homme veut changer le cours de l’histoire: l’ayatollah Khomeini, qui rentre à Téhéran en 1979. Shirin Ebadi ne se laisse pas berner longtemps par ce dignitaire qui prétend que l’ère des inégalités sociales est terminée. Car très vite, la rumeur enfle à la Cour de Téhéran: l’islam interdirait aux femmes d’être juges. «J’essayais d’en rire», dira-t-elle.

Elle ne rit pas longtemps. D’un jour à l’autre, en 1979, la juge est mise au placard, à un poste de scribe. Elle étouffe sous ce voile qu’elle est obligée d’«accrocher sur un clou à côté de la porte pour ne pas l’oublier» et sous ces décrets qui réduisent ses droits à néant.  Avant Khomeini, l’Iran était pourtant «un modèle pour toutes les femmes du Proche-Orient. D’ailleurs, nous avons obtenu le droit de vote en 1936, soit bien avant les Suissesses», glisse malicieusement Shirin Ebadi aux journalistes venus l’écouter à Lausanne.

Le droit du sang
«Hélas! Tout a changé désormais. La vie d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme, il peut répudier son épouse à sa guise, la polygamie est autorisée et j’en passe» énonce-telle avec colère. Dans son autobiographie, elle précise même que selon le diyeh, le droit du sang, une blessure aux testicules est aussi grave que le meurtre d’une femme! Mais si l’ayatollah Khomeini a réussi à enfermer ses compatriotes dans des lois aussi choquantes que loufoques, il n’a pas réussi à tuer leur combativité. Le très haut niveau d’instruction des Iraniennes leur permet «d’instiller une chose qui, je crois, sur le long terme, transformera l’Iran: la prise de conscience de leur condition d’opprimées». Il faut dire que près des deux tiers des étudiants et des professeurs des universités iraniennes sont des femmes.

En attendant, la révolution iranienne s’immisce jusque dans le foyer de Shirin Ebadi. Elle ne supporte pas que son mari ait plus de droits qu’elle et lui fait signer un contrat post-nuptial. Il stipule qu’elle a le droit de demander le divorce et la garde des enfants en cas de séparation. Lorsque le juge, stupéfait, demande à Javad Tavasolian pourquoi il accepte, il dira simplement: «Ma décision est irrévocable. Ma femme me tuerait».

Pour quelques sous
La période est sombre: ses amis s’exilent, Shirin perd son travail et peu à peu, ne reconnaît plus le pays dans lequel elle a grandi. Un jour, son beau-frère, un homme jeune encore, est arrêté par la Savak, la police secrète. Son crime? Avoir distribué des journaux dissidents pour se faire quelques sous. Quelques mois plus tard, c’est le drame: il est tué, probablement sous la torture. Le choc est terrible dans la famille qui croyait encore en sa libération.

Alors, la vie de Shirin Ebadi bascule dans une «rage indicible» qui ne s’est «jamais éteinte depuis», souligne-t-elle, les deux mains jointes. Rester les bras croisés face aux crimes de ce régime théocratique qui tue les libertés et «assassine les innocents» est au-delà de ses forces. Soutenue par sa famille, Shirin Ebadi commence à travailler bénévolement comme avocate. Elle se dépense sans compter pour défendre les victimes du régime, écrit, s’indigne, fait savoir… et sans étonnement, passe vingt-cinq jours dans une geôle de Téhéran, en 2000.

Ses geôliers sont convaincus qu’en fait d’objection de conscience, elle, une femme, ne peut être mise au trou que pour trafic de drogue ou prostitution. Trois ans plus tard, le Prix Nobel de la paix l’immunisera à vie contre ce genre de confusions fâcheuses. Elle est la première musulmane à le recevoir. Lorsqu’elle rentre de Suède en 2003, une foule immense l’attend à l’aéroport pour la fêter.

Une vie en avion
Mais les mollahs ne sont pas de la partie et six ans plus tard, en 2009, elle est contrainte à l’exil. Son mari et sa sœur, eux, sont coincés en Iran dans l’attente de leur jugement. «Le régime essaie de me faire taire par tous les moyens» dit-telle, les traits soudain tendus. C’est raté: sur les 365 jours que compte une année, elle dit en passer «trois cents en voyage pour défendre les droits de l’homme en Iran et les soixante-cinq autres en transit dans les aéroports». Personne ne sait où elle habite, mais il y a fort à parier qu’elle a un pied-à- terre aux Etats-Unis ou en Angleterre, où vivent ses deux filles.

Quant à ses proches restés en Iran, cette patrie chérie qui ne quitte jamais ses pensées, elle continue de leur parler tous les jours malgré les interdictions des mollahs. «Il faut faire confiance aux peuples; ils seront toujours un peu plus malins que leurs dictateurs», murmure-t-elle. Et un sourire, tout d’un coup, illumine son visage.

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