Le nouvel homme fort

le-nouvel-homme-fortjpg_page1Lors des premières élections libres de Tunisie, Ennahda a obtenu 90 sièges sur 217 à l’Assemblée constituante. Un triomphe que le fondateur de ce parti islamiste, Rached Ghannouchi, attend depuis trente ans.

« Je ne suis pas un Khomeiny », déclarait-il récemment. Peut-être. N’en reste pas moins que ses idées suscitent la méfiance, voire l’hostilité de ses opposants qui craignent que la laïcité à la tunisienne ne soit remise en cause. Cet homme qui fait trembler les laïcs, c’est Rached Ghannouchi, de son vrai nom Rached Kheriji. Né le 22 juin 1941 à El Hamma, une petite ville du sud tunisien, il grandit dans une famille très pieuse de huit enfants. Sa conscience politique commence à prendre forme lorsqu’il comprend, à l’âge de 10 ans, que les autorités françaises ont arrêté son oncle qui milite contre le colonialisme.

Nassérien, puis islamiste
A l’âge de 21 ans, Ghannouchi obtient son diplôme de théologie à Tunis. Grand admirateur du président égyptien Gamal Abdel Nasser et de son panarabisme, il séjourne quelques mois au Caire avant de passer quatre ans à Damas, capitale de la Syrie. Là, il se rapproche des islamistes, obtient une licence en philosophie et réfléchit à l’élaboration de sa propre doctrine. Lors d’un séjour en France, il goûte à la militance dans l’Association pour la prédication qui cherche à faire revivre la foi des musulmans dans le monde. A son retour en Tunisie en 1969, Ghannouchi, qui prône désormais l’application stricte de la charia, continue à militer. Il est emprisonné une première fois par le président Habib Bourguiba en 1979. Deux ans plus tard, il crée avec quelques intellectuels le Mouvement de la tendance islamique qui deviendra par la suite Ennahda («renaissance»). L’islamisme continue de s’étendre et les arrestations de se multiplier: Bourguiba condamne Ghannouchi à onze ans de prison, puis aux travaux forcés à perpétuité. Comme de nombreux Tunisiens en détention, le militant connaît sévices et torture.

Gracié par Ben Ali
Le 7 novembre 1987, le coup d’Etat orchestré par Ben Ali bouleverse la donne. Le nouveau président déclare une amnistie, acceptant même de recevoir Ghannouchi en avril 1988. Le militant islamiste fait alors profil bas. Il rejette officiellement la violence et reconnaît le droit tunisien de la famille, plus libéral que celui de la charia. Mais la trêve ne dure pas. Un an plus tard, Ennahda remporte au moins 17% des voix aux élections. Menacé par ce succès, Ben Ali redouble l’intensité des persécutions. Ghannouchi fuit alors pour Londres où il vit plusieurs années en tant que réfugié politique. Avant de revenir triomphalement le 30 janvier en Tunisie après la chute de Ben Ali le 14.

Durant son exil, l’idéologue aurait mis de l’eau dans son thé vert, s’inspirant notamment de l’exemple des islamistes turcs de l’AKP (au pouvoir à Ankara depuis 2003), aussi modernes que modérés. Présentant Ennahda comme soluble dans une démocratie à construire, Ghannouchi s’efforce ainsi de rassurer, en particulier les laïcs, les femmes et les investisseurs. Il est soucieux de donner une image de parti responsable, capable de jouer le jeu parlementaire en respectant le cadre républicain.

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