Photo: Lionel Elkaïm, rabbin de Lausanne. ©Jacques Berset, cath.ch

La communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud (CILV) va devoir se trouver un nouveau guide: après vingt-et-un ans à Lausanne, Lionel Elkaïm retourne vivre en Israël. Retour sur le parcours d’un chef religieux qui n’avait pas cherché à le devenir.

Adieu Gruyère casher, week-ends de ski et tranquillité helvétique: cet automne, le rabbin Elkaïm fait son alyah, soit le «retour» en Israël pour les juifs sionistes. Un exercice dans lequel il est passé expert: c’est la troisième fois qu’il se lance et cette fois, il espère bien que ce sera un aller simple. Les raisons de son départ sont religieuses bien sûr – vivre en Israël est considéré comme un devoir pour de nombreux juifs pratiquants –, mais pas seulement.

Outre le houmous et la météo clémente, parfois torride, le rabbin et sa femme Myriam s’en vont pour des raisons familiales. «Nous ne voyons nos sept petits-enfants que quelques jours par an, ils nous manquent beaucoup. Or, on ne peut pas réussir sa vie professionnelle si l’on n’est pas heureux en privé: il faut faire des choix», dit-il avec une pointe de regret dans son français chantant. Quitter la tranquillité vaudoise ne sera «pas facile, mais on sait où on va, et nous n’avions jamais imaginé résider ailleurs qu’en Israël», affirme-t-il.

L’amour des livres… à l’endroit

Il aura pourtant passé plus de vingt ans à Lausanne, une ville qu’il n’aurait probablement pas pu situer sur une carte avant de mettre les pieds en Suisse. Né en Algérie en 1961, Lionel Elkaïm est issu d’une famille traditionaliste «où l’on pratiquait les commandements, mais sans contrainte et sans rester fixé sur une rigueur absolue». Après avoir grandi à Nice, il passe son baccalauréat, non à Paris ou Strasbourg, mais… à Montreux. «Sa yeshiva (école d’études juives réservée aux hommes, NDLR) était très prestigieuse. Le taux de réussite au baccalauréat était de quasi 100% même si les matières profanes n’étaient enseignées qu’à 50%», raconte-t-il, un sourire dans la barbe. Bac en poche, direction Israël où à dix-huit ans, il entame des études pour pouvoir devenir professeur de sciences religieuses juives. L’établissement forme bien sûr des rabbins, mais ce n’est pas ce qui l’intéresse, même si son grand-père a exercé cette prestigieuse fonction. «Moi, ce que je voulais, c’était étudier et le meilleur moyen de continuer à apprendre, c’est d’enseigner, car dans le judaïsme, l’un ne va pas sans l’autre. Pour nous, nous former sans transmettre n’a pas de sens», explique Lionel Elkaïm.

Le rabbin aime les livres… et il les aime à l’endroit. Au beau milieu d’une phrase, il s’arrête net. «Excusez-moi… il y a des choses que je ne supporte pas». Replaçant machinalement sa kippa sur la tête, il se lève avec un sourire et remet en place avec délicatesse des ouvrages d’études juives.

Un coup de fil providentiel

Etre rabbin et l’être à Lausanne, franchement, Lionel Elkaïm n’y pensait pas. Lorsqu’à l’âge de 25 ans, il fait la connaissance à Jérusalem de Myriam, une charmante Strasbourgeoise, tous deux n’ont qu’une idée: rester vivre dans ce pays qu’ils viennent tous deux d’adopter. Mais le destin – ne lui parlez pas de hasard, il n’y croit pas – frappe à sa porte, ou plutôt lui lance un coup de fil, à peine se sont-ils mariés. «Le lendemain des noces, le rabbin Weingort, un de nos maîtres, m’appelle pour me dire: j’ai un poste d’enseignant pour toi à l’école juive de Lausanne». Le jeune couple a beau refuser, Abraham Weingort ne se laisse pas décourager. Lorsqu’il rappelle quelques mois plus tard, en décembre 1986, Myriam et Lionel acceptent la proposition, parce que «la classe risquait d’être laissée à l’abandon, comme le professeur s’était désisté en plein milieu d’année», raconte le rabbin.

Le premier contact est… glacial: on est en plein mois de janvier 1987, il neige et le baromètre tutoie le zéro. «Fasciné» par la poudreuse, Lionel Elkaïm ne se décourage pas et bientôt, la chaleur de l’accueil humain fait oublier les frimas. S’ensuivent trois ans et demi d’enseignement à Lausanne, deux ans à Paris, quatre ans à Jérusalem… avant un retour dans le chef-lieu du canton de Vaud que le rabbin doit en réalité à Myriam. «En 1996, on nous a proposé des postes d’enseignants. J’ai dit non… mais ma femme a dit oui!», raconte-t-il, un éclat malicieux derrière ses lunettes.

Trouver l’unité

Les idées les plus intéressantes prenant parfois vie dans des trains, il se voit proposer le poste de rabbin par le président de la communauté alors que les deux hommes se rendent à Delémont pour une fête. Lionel Elkaïm a beau avoir été assistant rabbinique pendant un an et par intérim pendant deux ans, il refuse. «Je ne cherchais pas à devenir rabbin. J’avais fait des études dans ce sens à Jérusalem, mais je voulais enseigner», affirme-t-il. Un juif religieux qui se prépare pendant des années à devenir guide de communauté et qui refuse… pourquoi? «J’avais trop de respect envers mes propres maîtres pour imaginer occuper un jour la même fonction qu’eux», explique-t-il avec humilité.

Et puis, rabbin, c’est un job aussi compliqué que de séparer la Mer rouge en deux. «Le plus dur, ç’a été de se mettre à l’écoute de chacun tout en ayant une compréhension globale de la communauté pour lui donner une direction», avoue Lionel Elkaïm. Une tâche particulièrement corsée dans la communauté de Lausanne où se côtoient juifs «de Kippour» ne venant qu’une fois par an à la synagogue, et pratiquants assidus que les 613 commandements n’effraient pas le moins du monde. Sans compter les différences entre amateurs de couscous et de gefilte fisch, soit les juifs séfarades du sud de l’Europe et les ashkénazes d’Europe de l’Est.

Cette complexité a pourtant plu au rabbin, préparé à jongler entre sévérité religieuse et dialogue par son éducation et son passage dans la yeshiva de Montreux qui lui ont donné «le respect de la tradition et l’ouverture sur le monde profane». Son métier a exigé de lui d’être fin psychologue. «Ma préoccupation principale, c’était que mes réponses devaient convenir à tous. Elles ne devaient pas être trop exigeantes, mais elles ne pouvaient pas être contraires à la loi juive», dit-il.

Un rêve inachevé

Rigoureux quant à l’interprétation de la Halakha – littéralement: «le chemin», soit le corpus des lois juives – qu’il exclut de refondre pour la moderniser, Lionel Elkaïm grimace pourtant quand on lui dit qu’au fond, il est orthodoxe. «Ah, ce terme… je ne l’aime pas! Pour moi, il est associé à un manque d’ouverture d’esprit et au désir d’aller convaincre autrui. J’essaie d’éviter les étiquettes», affirme-t-il en remettant machinalement sa kippa en place. Lui aurait rêvé de voir prier dans la synagogue de Lausanne «des juifs en jeans aux côtés de juifs en shtreimel (le costume traditionnel des juifs ultra-orthodoxes, NDLR)».

Si l’on ne voit pas encore de caftan dans la rue Juste-Olivier, Lionel Elkaïm aura réussi à faire retrouver sa sérénité et son harmonie à la communauté juive de Lausanne. Mission accomplie pour ce rabbin qui ne cherchait pas à l’être, mais aura permis l’unité.

https://protestinfo.ch/201706278511/8511-le-rabbin-malgre-lui.html