Arlette Monnard-Elhajhasan, une Genevoise à l’âme arabe

Exilée dans sa patrie

C’est pourtant en Suisse que la famille trouve refuge lors de la première Intifada. «Quitter la Palestine nous a brisé le cœur, mais les checkpoints, les militaires israéliens, la paranoïa, on n’en pouvait plus. Nos enfants adolescents auraient pu être arrêtés, voire pire», dit Arlette. Elle se préoccupe particulièrement du sort de son aîné, Abdulmuti, qui souffre de myopathie, une dégénérescence musculaire grave. Les Elhajhasan s’établissent à Saint-Imier, dans le Jura, où Hasan a trouvé un poste. Au soulagement d’être en sécurité succède rapidement la difficulté de l’intégration. «Nous avons été confrontés au racisme, à l’ignorance», raconte Arlette. Quatre ans plus tard, trois des quatre enfants partent étudier en Jordanie où ils se sentent bien plus à l’aise. Arlette et Hasan rentrent à leur tour en Cisjordanie, mais d’autres problèmes les attendent. «La corruption, l’autoritarisme, le clientélisme établis par le clan Arafat nous ont écœurés. On ne pouvait rien faire sans être membres d’un parti», explique-t-elle. Déçu de ce pays dans lequel il ne se reconnaît plus, le couple rentre en Suisse. Un drame les frappe alors: le rapt de leurs deux petits-fils en 2000 par leur père, un Palestinien de Cisjordanie. Il faudra des années à leur fille Raya, souffrant d’une grave anorexie qu’avait adoucie la maternité, pour surmonter cet arrachement. Deux ans plus tard, la vieille Jitti, la belle-mère bédouine adorée, rend l’âme.

Le pays de la liberté

Arlette tombe alors en dépression. «Les années à trimer, l’Intifada, la maladie de mes enfants, le kidnapping de mes petits-fils…, soudain, tout m’est tombé dessus», dit-elle. Elle réalise aussi combien le caractère possessif de Hasan lui pèse et décide de partir seule en vacances pour décompresser. «J’ai tapé «vacances + soleil» sur Google et je suis tombée sur une pub pour la Tunisie.» Ni une ni deux, Arlette débarque dans ce pays inconnu et en tombe amoureuse. «La nature, les paysages, la gentillesse des Tunisiens m’ont fait un bien immense.» La liberté l’appelle, elle répond: trois ans plus tard, à la stupeur de tous, elle divorce de Hasan sans rien lui demander. «Il m’avait déjà donné tout ce que j’aurais pu souhaiter», dit-elle. Arlette achète un appartement à Djerba, où elle vit depuis neuf ans. Revenir en Suisse, où ont fini par s’établir trois de ses enfants? A cette idée, elle rigole. «Ce pays est magnifique, propre et organisé, mais il ne me correspond plus. Je ne supporterais pas le train-train, l’ennui et la grisaille de la météo. Les gens sont si moroses… Décrocher un sourire dans les bus genevois, c’est un exploit!»

N’allez pas croire pour autant qu’elle tresse des couronnes à la Tunisie. «Certains endroits sont très sales, la corruption est omniprésente, les infrastructures sont défaillantes et la société est anarchique», fustige-t-elle. Sans jamais oublier la Palestine, c’est pourtant là qu’elle se sent chez elle, dans ce pays nouvellement libéré qui lui ressemble tant. Une Tunisie entre deux mondes, l’arabe et l’européen, passant de l’un à l’autre dans une quête identitaire à jamais inachevée.