Le Palestinien qui refusait d’être le Gandhi de Tel Aviv

Né dans une famille proche de Yasser Arafat, Ali Abou Awwad a "l'âme religieuse, mais l'identité laïque". Photo: Aline Jaccottet

Ali Abou Awwad est une star du mouvement non-violent palestinien. Révélé par sa souffrance, le cinquantenaire œuvre à renforcer son peuple à travers la résistance pacifique qui seule, dit-il, mettra fin au conflit.

Il est dix heures passées et Ali Abou Awwad sort péniblement du plumard qu’il s’est installé au centre Karameh formé de quelques baraques à côté de la jonction du Goush Etzion, en Cisjordanie occupée. C’est qu’il a passé toute la nuit à débattre des élections israéliennes avec des copains. « Oui, la politique m’empêche de dormir », dit-il en passant une main fatiguée dans ses cheveux frisés.

Avec sa gueule à la Vincent Cassel et sa carrure de lutteur, le cinquantenaire est l’un des activistes palestiniens non-violents les plus connus au monde. Plus de douze documentaires, un article détaillé sur Wikipédia et des dizaines d’articles retracent ce parcours de larmes et de sang jusqu’à la rédemption par les œuvres de Mahatma Gandhi, Nelson Mandela et Martin Luther King.

La leçon d’une mère emprisonnée

L’engagement politique marque la vie de cet homme à peine a-t-il ouvert les yeux au monde. Né dans une famille réfugiée de 1948, sa mère, proche de Yasser Arafat, est une militante proéminente de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et la dirigeante du Fatah dans le district de Hébron.

Il faudra attendre l’école de la prison pour que le jeune Ali se fasse élève de la non-violence. Enfermé, comme tant d’autres Palestiniens pendant la Première Intifada, pour avoir lancé des pierres et cocktails molotov et fait partie d’une cellule militaire, il est condamné à dix ans – dont il ne fera que quatre grâce aux Accords d’Oslo. Et se retrouve coffré à quelques mètres… de sa mère, qui purge une peine pour activités politiques. Ce n’est que grâce à une grève de la faim que la mère et le fils sont autorisés à se voir. « J’ai alors réalisé qu’un autre moyen de voir mes droits respectés existait, non-violent celui-là », affirme Ali Abou Awwad.

Une identité palestinienne coupée en deux

Mais la mort de Youssef manque de dévaster de rage et de chagrin son chemin pacifiste. Youssef, c’est ce frère adoré et père de deux enfants, tué d’une balle en pleine tête par un soldat israélien lors de la Deuxième Intifada, au seul motif de « lui avoir répondu », affirme Ali. Avec sa mère et son frère Khaled, il finit par pousser la porte du « Forum des Familles endeuillées », qui réunit Palestiniens et Israéliens touchés par le conflit, une démarche qui l’aide à « sortir de la prison de victime dans laquelle j’étais enfermé ».

Au fil des mois, Ali Abou Awwad entreprend de sensibiliser sa communauté à la non-violence. Une philosophie qui selon lui, peut répondre au profond mal-être des Palestiniens : « celui de ne savoir comment réconcilier notre identité de combattant et celle de citoyen. La première pousse à la violence comme moyen de défier l’Etat d’Israël, la deuxième la rejette au nom de l’existence de l’Autorité palestinienne depuis les Accords d’Oslo », explique-t-il en tirant sur sa cigarette.

Être prophète en son pays

Convaincu que la solution au conflit se trouve dans son camp, le bourru cinquantenaire s’est récemment distancé de « Racines », l’organisation qu’il a contribué à fonder. Prônant le dialogue entre colons israéliens et Palestiniens, elle impressionne bien au-delà de la Cisjordanie. C’est bien là qu’est le problème, dit Ali. « Ce qu’ils font est admirable, mais on ne peut se passer du soutien populaire palestinien. Être un héros à Tel-Aviv ne m’intéresse plus », dit-il. Ali Abou Awwad a ainsi créé le mouvement national palestinien Taghayeer («Changement ») qui promeut la non-violence et a le projet d’un livre dans lequel il répondrait aux (nombreuses) questions que soulève son engagement.

Que représente Dieu pour vous ?

L’amour, la sécurité. Dieu a insufflé en nous les valeurs nécessaires à la défense de la dignité humaine. Je crois en Lui en ce sens que mon esprit est religieux ; en revanche, mon identité est laïque.

Qu’entendez-vous par là ?

A travers la pratique de la non-violence, mon âme est tournée vers ce à quoi nous appelle Dieu : la paix, la justice…. En revanche, j’ai pris distance avec la religion telle qu’elle est envisagée par le politique car il la manipule pour définir des identités clivantes et maintenir le conflit. Un jour, l’acteur américain Richard Gere m’a demandé ce qu’était la religion pour moi. J’ai répondu : une attitude psychologique qui reflète une identité politique.

Avez-vous déjà été en colère contre Dieu ?

Oui, lorsque mon frère a été tué. Je m’en prenais à Lui, je Lui disait : « quel prix devrai-je payer pour pouvoir dire que je ne mérite pas cette souffrance ? » A mes yeux, tout le monde était coupable, les hommes comme Dieu. Puis j’ai rencontré des Israéliens, ce qui a initié chez moi un processus me permettant de sortir de mon désespoir, du sentiment d’impuissance qui m’écrasait. Soudain, je n’étais plus une victime.