«Bibi», le monarque qui a changé la face d’Israël

Affiches électorales à Jérusalem, 2013. Photo: IStock

En dix ans de pouvoir, le premier ministre Benyamin Netanyahou a recomposé en profondeur la scène politique de son pays. Mais les élections de mardi prochain s’annoncent, même pour lui, particulièrement incertaines

Le magicien. Le gagnant. Le roi. Au sein de la droite israélienne, les superlatifs ne manquent pas pour encenser Benyamin Netanyahou. Né un an après la création de l’Etat d’Israël, l’homme pourrait battre mardi le record de longévité de David Ben Gourion s’il était réélu premier ministre. Il aurait dirigé le pays plus longtemps encore que le mythique fondateur de l’Etat hébreu.

Nul ne sait avec certitude si le 9 avril lui portera chance, mais une chose est sûre: «Bibi», fils d’un historien proche du fondateur spirituel de la droite, Zeev Jabotinsky, et petit-fils d’un rabbin lituanien, a changé le visage d’Israël. Son approche néo-conservatrice le place en droite ligne d’une Thatcher ou d’un Reagan dans une époque propice au populisme. Un mélange «qui a bouleversé notre identité, notre démocratie et notre équilibre politique», affirme Gayil Talshir, chercheuse en sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem et auteure d’une biographie de Benyamin Netanyahou à paraître en juillet.

Le judaïsme avant la démocratie

Premier changement: l’équilibre entre démocratie et judaïsme. En juillet, le parlement a ainsi inscrit au rang de loi fondamentale un texte privilégiant clairement la judéité de l’Etat au détriment de son caractère démocratique. Et tant pis pour les citoyens non-juifs d’Israël, qui forment pourtant 20% de la population. «Israël n’est pas l’Etat de tous ses citoyens. Selon la loi sur l’Etat-nation que nous avons adoptée, Israël est l’Etat-nation du peuple juif – et personne d’autre», affirmait récemment Benyamin Netanyahou. Qui n’a pas hésité pour augmenter ses chances à faire alliance avec Pouvoir juif, un parti extrémiste et raciste, avant que la Cour suprême ne mette le holà.

Ensuite, Benyamin Netanyahou a changé la nature des partis de droite et religieux. «Ces vingt dernières années, les ultra-orthodoxes avaient maintenu une position de pivot, afin de pouvoir faire valoir leurs droits en entrant dans n’importe quelle coalition, de droite ou de gauche. En leur offrant une position et un financement inédits, Benyamin Netanyahou les a mis dans sa poche», explique la chercheuse Gayil Talshir. Une stratégie payante – toujours plus nombreux, les ultra-orthodoxes assurent au premier ministre une base électorale importante – qui change profondément son propre parti. «Le Likoud, fondé par Menahem Begin, représentait une droite libérale qui n’existe plus», relève Gayil Talshir.

La colère envers les élites

Politicien de génie, Benyamin Netanyahou a aussi mis un classique du populisme au goût du jour bien avant qu’il ne devienne une rengaine dans les bouches d’un Salvini, d’un Orban ou d’un Trump: la colère envers les élites. C’est en 1999 que ce diplômé du MIT élabore son discours, face à des juifs russes et arabes des classes moyennes et défavorisées. Pour rebondir politiquement après sa cuisante défaite face à Ehud Barak et son départ de la présidence du Likoud, il joue sur leur ressentiment, prenant la presse, les juges, les intellectuels pour cibles.

Au fil des années s’instaure aussi un processus de «politisation des services publics, qui est la marque du néo-conservatisme. On nomme quelqu’un parce qu’il est loyal et, quand ses décisions ne vont pas dans le bon sens, il est accusé de partialité, voire de traîtrise», relève la chercheuse Gayil Talshir. C’est ce qui se passe avec Avichaï Mendelblit. Procureur général de l’Etat d’Israël choisi par Benyamin Netanyahou, il l’a mis en cause en février dans les affaires dites des 1000, des 2000 et des 4000 pour fraude et abus de confiance et, dans un cas, corruption. Dénonçant une chasse aux sorcières, «Bibi» s’accroche à son siège, démontrant une capacité à surmonter une crise qui en aurait terrassé d’autres.

Le politicien sait qu’il peut compter sur un bilan sécuritaire solide dans un pays où tout le reste est accessoire. Depuis dix ans qu’il est premier ministre, Israël ne s’est jamais retrouvé empêtré dans une guerre longue et désastreuse, même avec son vieil ennemi le Hamas, qui n’hésite pas à rappeler l’existence de Gaza par des tirs de roquette sur Israël. Et puis, Benyamin Netanyahou a fait deux expériences fondamentales aux yeux des Israéliens: celle du combat et celle de la mort. Ancien d’une troupe d’élite de l’armée de 1967 à 1972, avec laquelle il a notamment contribué à la libération d’une centaine d’otages retenus par le groupe Septembre noir, il a perdu son frère Yonathan, tué lors d’un raid. Un traumatisme qui durcira ses positions envers les Palestiniens et, plus largement, le monde arabe.

Le soutien de Donald Trump

Farouchement opposé aux Accords d’Oslo et à la politique du premier ministre Rabin – au point que, à l’enterrement de ce dernier, sa veuve Leah refusera de lui serrer la main –, Benyamin Netanyahou est convaincu qu’Israël ne peut que gérer le conflit, pas le résoudre. «Nous ne vivrons jamais que grâce à notre glaive», déclarait-il en 2015. Et grâce à des relations diplomatiques au beau fixe, avec plusieurs gouvernements populistes, certains leaders arabes – fait inédit – et, surtout, les Etats-Unis. Transfert de l’ambassade à Jérusalem, reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan, Donald Trump se démène pour que Benyamin Netanyahou soit réélu. L’annonce mercredi du rapatriement du corps du sergent israélien Zachary Baumel, porté disparu en juin 1982 au Liban, devrait contribuer au succès de «Bibi» dans un pays très sensible au retour de ses soldats, morts ou vivants.

Serait-il donc indétrônable? Dans le pays dont il a contribué à révéler les clivages, rien n’est sûr. Les analystes politiques affirmaient jeudi que la prochaine élection est la plus difficile à évaluer depuis 1996. Les derniers sondages parus dans Haaretz laissent ainsi augurer une bataille serrée pour les 120 sièges du parlement. Une bataille complexe aussi, puisqu’il faut que tous les partis passent la barre des 3,25% des voix pour prétendre entrer dans la coalition. «Si deux des formations alliées à Netanyahou ne l’obtiennent pas, il pourra difficilement former le prochain gouvernement», affirme Gayil Talshir. Pour le roi Netanyahou à l’épreuve de la démocratie, le couperet tombera entre mardi soir et mercredi de la semaine prochaine.