A Jérusalem, le sex-shop de Chana Boteach est discret. Photo: Aline Jaccottet

Un sex-shop casher et ouvert à tous a été inauguré en septembre à Jérusalem. Mais le sexe casher, c’est quoi au juste ?

Le magasin est si discret que l’on passe devant par deux fois avant d’apercevoir l’inscription : « Kosher Sex ». Installé à Jérusalem depuis septembre, le look du sex-shop ouvert par l’Américaine Chana Boteach fait penser à une enseigne d’articles ménagers Alessi. Couleurs pastel, lignes harmonieuses, lumière douce : il faut voir les objets de près pour constater leur forme explicite. Sur ses rayons immaculés, cette échoppe nichée à l’arrière d’un restaurant bobo de Jérusalem-Ouest expose des jeux coquins, des accessoires soft et « quelques objets qui aident à l’amour entre conjoints », explique Dory, la vendeuse à peine trentenaire. Les clients, hétérosexuels, sont généralement mariés de longue date.

Un sex-shop, tout le monde saisit ce que c’est ; mais un sex-shop « casher » – conforme à la loi juive – ça veut dire quoi ? « C’est un endroit qui permet à un couple de se rapprocher sexuellement pour être heureux longtemps. Ce qui fait que mon activité est casher, c’est sa philosophie », explique Chana Boteach, jointe par Skype depuis New York. Vendre des articles érotiques à un public juif religieux en les présentant comme « casher », l’idée ne lui est pas venue par hasard. Chana est la fille du controversé rabbin Shmuley Boteach, auteur en 1999 d’un ouvrage qui a fait sensation : « Le sexe casher ». Rédacteur de 32 livres et père de neuf enfants, le prolifique loubavitch y vantait les bienfaits du plaisir entre conjoints. Le bouquin a fait un carton auprès d’un public conquis par son approche spirituelle et inclusive du sexe casher.

Au-delà de l’exemple du rabbin Boteach et de sa fille, « depuis dix ans, notre monde est en pleine révolution sexuelle : nous n’avons jamais eu à notre disposition autant de sites de vente de sex-toys, de thérapeutes et de livres sur le sujet », observe Chaya, une juive ultra-orthodoxe qui se passionne pour les questions de sexualité dans sa communauté. Les exemples sont légion, de la sortie en 2013 du « Guide des jeunes mariés vers l’intimité physique » expliquant le corps et les relations sexuelles grâce à des diagrammes glissés dans une enveloppe fermée, au site casher Better2gether lancé en 2015. Même la dynastie hassidique de Gour, ultra-fermée, a ouvert un sex-shop pour espérer retenir ses fidèles qui autrement, se fourniraient en des lieux bien plus sulfureux. Inutile cependant d’espérer y faire un tour : contrairement à l’enseigne de Chana Boteach, son adresse est un secret jalousement gardé…

 

« Dans le judaïsme, le sexe est un aspect à réglementer comme un autre »

Benjamin Benny Morris, professeur de pensée juive à l’Université hébraïque de Jérusalem

« Pour le judaïsme, religion légaliste, le sexe doit être réglementé comme tout autre aspect de la vie. Licite et illicite changent selon le degré de pratique et l’adhésion à un courant, mais on peut dégager certains principes.

D’abord, le sexe est exclu en dehors du mariage entre homme et femme. Pour empêcher la transgression, des lois détaillées encadrent les interactions humaines : le « tsniout » (modestie), qui dit comment s’habiller et se comporter ; le « shomer neguia » (abstention du contact), prohibant toute interaction physique ; et de « yihoud » (isolement) interdisant à deux membres de sexe opposé d’être seuls. Marié, le couple respecte ensuite deux types de loi. Celles de pureté familiale, encadrant l’interdit de toute relation lors des menstruations, le sang étant tabou dans le judaïsme. Et celles prohibant à l’homme de disperser sa semence en vain, sous peine de voir perdue une vie potentielle. Pour autant, la sexualité est valorisée ; l’ascétisme est un péché. L’homme a l’obligation de se marier, puis il doit une fréquence minimale de rapports à sa femme, selon la Mishna du 1er siècle. L’abstinence non-justifiée est d’ailleurs un motif de divorce légitime.

Aujourd’hui, le sexe est toujours plus important dans le monde juif traditionnel, divisé entre ceux qui s’ouvrent au monde moderne et ceux qui se replient face à la menace représentée par cette ouverture. Ainsi, certains ultra-orthodoxes considèrent aujourd’hui la pudeur aussi cruciale pour les femmes que l’étude de la Torah pour les hommes »

 

« Dans l’islam, le sexe donne un avant-goût des plaisirs du paradis »

Samah Jabr, psychiatre dans les territoires palestiniens occupés

« Les textes musulmans parlent explicitement de sexualité comme d’une expérience spirituelle qui rapproche de Dieu et donne un avant-goût du paradis. Des divergences existent entre islam sunnite et chiite et entre écoles de droit, notamment sur la masturbation et le sexe anal et oral, mais certains principes sont communs.

D’abord, la sexualité n’est licite qu’après mariage entre deux adultes sains, consentants et responsables et en présence de témoins. Ensuite, les époux doivent avoir de bonnes intentions : celle de se satisfaire, de se traiter avec gentillesse et de faire naître un enfant vertueux. Certains rituels sont aussi commandés : avant l’acte, réciter une prière bénissant l’union ; prendre soin de soi ; montrer à l’autre ce qu’on aime en lui ; l’entreprendre avec courtoisie, générosité et amour ; et se laver avant et après. Enfin, il est interdit de révéler à autrui les détails de sa vie intime et de faire l’amour lors des menstruations.

Aujourd’hui, le monde musulman discute moins ouvertement de sexe que lors de toutes les ères islamiques précédentes. Les tensions, très fortes autour des femmes, sont dues en partie à la colonisation : à son contact, l’islam est devenu beaucoup plus idéologique. Elles empirent avec le déclin politique et l’oppression subies par nos sociétés qui produisent des hommes émasculés cherchant à se revaloriser autour de ‘l’honneur’. Les questions contemporaines nécessiteraient pourtant d’élaborer un véritable discours »

 

« Pour le christianisme, le sexe est un geste à la fois sacré et tabou »

Sébastien Doane, professeur d’études bibliques à l’Université Laval (Canada)

« Chaque religion a son dada. Celui du christianisme, c’est le sexe, fortement encadré par le mariage. Considérée par les protestants comme une bénédiction, cette institution est envisagée par l’Eglise catholique comme un sacrement ; la relation entre la femme et l’homme, une métaphore de sa relation avec Dieu. Dans ce cadre, la sexualité est tenue pour un geste à la fois sacré et tabou. Les règles l’entourant devaient la faire vivre harmonieusement, mais l’objectif a été perdu de vue et les interdits sont devenus une obsession. L’écart entre les prescriptions institutionnelles et la réalité vécue par les gens s’est creusé jusqu’à créer le gouffre actuel, encore aggravé par des scandales de pédophilie décrédibilisant tout discours ecclésial sur la sexualité.

Les textes bibliques donnent pourtant un autre éclairage. Le Cantique des Cantiques parle avec tant de poésie du plaisir entre conjoints ! La lecture des Evangiles donne très peu d’éléments sur l’attitude de Jésus face au sexe, si ce n’est dans deux passages. Celui où le Christ se laisse toucher par des prostituées malgré l’opposition des disciples, et lorsqu’il empêche la lapidation d’une femme adultère. Ces scènes nous disent que Jésus avait tendu les bras à ceux que l’Eglise a par la suite exclus sous prétexte de péché.

J’espère que les institutions chrétiennes reliront les textes et intégreront cette ouverture envers la diversité de la sexualité humaine. Elle fait l’objet de dissensions entre progressistes et fondamentalistes qui ne feront que s’accroître avec le temps »