La Suisse, havre du dialogue israélo-palestinien

Photo: Naturkultur

B8 Of Hope, Coexistences et Naturkultur portent haut l’étendard de paix suisse, dont le conseiller fédéral Ignazio Cassis a rappelé l’importance lors de sa visite en Israël. Un travail aux antipodes de la politique de l’administration Trump qui vit ses dernières semaines.

La Suisse est connue dans le monde entier pour offrir un espace bienveillant aux parties en conflit. Une approche à laquelle Berne est très attachée en Israël et dans les territoires palestiniens malgré la place prise ces quatre dernières années l’administration américaine, qui a misé, elle, sur l’imposition de décisions aux Palestiniens.

Quelques jours à peine après le passage du secrétaire d’Etat Mike Pompeo dans la région, où il en a profité pour soutenir lsraël en appuyant la colonisation en Cisjordanie et en organisant une rencontre avec le prince saoudien Salman, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis est arrivé en Israël. Avec un message de dialogue cher à de nombreux citoyens suisses qui dans la tranquille Helvétie, œuvrent pour qu’Israéliens et Palestiniens se parlent. Rencontres.

De l’Iran à Israël

L’intégrisme religieux, Mehra Rimer en a expérimenté l’amère violence à douze ans à peine avec l’assassinat, aux premières heures de la Révolution iranienne, de son père, un officier de l’armée du Shah. Un deuil brutal suivi d’un passage par un « oasis de paix » qui, ensemble, cimenteront son engagement pour le dialogue. Fuyant l’Iran avec sa famille, Mehra Rimer est scolarisée dans le pensionnat de bonnes sœurs de Valmont à Lausanne. « Nous, filles du monde entier qui fuyions la guerre et les kidnappings, y apprenions le vrai sens de la tolérance. » Une leçon qu’elle emporte sous son dais nuptial. Elle, la « musulmane pas pratiquante », épouse un juif. A la maison, on parle persan et les deux enfants du couple, qui portent des prénoms iraniens, sont convertis au judaïsme libéral.

Sa paisible vie genevoise est bousculée par les retrouvailles, en 2014, avec les Israéliens d’origine iranienne qui l’avaient guidée elle et son père lors de leur visite en Israël en 1977. Mehra Rimer redécouvre Tel Aviv. Puis, guidée par un ami, elle rencontre les activistes de Roots, une association de Cisjordanie où dialoguent colons israéliens et villageois palestiniens. Fascinée, elle crée deux ans plus tard une association pour les soutenir : B8 Of Hope. B8 comme beit, « maison » en arabe et en hébreu, mais aussi pour rappeler que huit fondateurs en sont à l’origine. En quatre ans d’engagement bénévole, « nous avons soutenu seize initiatives de dialogue en leur donnant une visibilité et en levant des fonds », souligne-t-elle. L’association est installée dans un appartement à Genève qui loge les activistes de passage et dépanne d’autres ONG. « On marche sur des œufs politiquement, mais l’humanisation de l’autre permet de réunir juifs et arabes tant sur la scène que dans le public », se réjouit Mehra Rimer.

Le Röstigraben aussi

Les murs, c’est son dada. Ceux qu’on construit et ceux qu’on détruit. Fils de paysans de montagne, le jurassien Oliver Schneitter est à la tête depuis 2010 de Naturkultur, une organisation qui encourage les échanges et la formation à travers le travail en extérieur. Marié à une Israélienne de Haïfa rencontrée lors de ses études en sciences religieuses, l’animateur socio-culturel a développé un projet unique : « Building Walls – Breaking Walls » (Construire des murs – détruire des murs). L’idée, c’est de réunir pendant une semaine, Israéliens et Palestiniens, Suisses-romands et Suisses-allemands et Irlandais du Nord et du Sud pour rénover des murs en pierre sèche. « En s’occupant du patrimoine national, il s’agit d’échanger sur les frontières visibles et invisibles », explique Oliver Schneitter.

Des murs bien présents dans l’imbroglio israélo-palestinien, le conflit nord-irlandais et… dans le Röstigraben. « Nous avons tendance à vivre à côté les uns des autres plus que les uns avec les autres », relève-t-il. Reste que la Suisse donne une image « motivante à des communautés en conflit. C’est un Etat-nation composé de plusieurs peuples, langues et cultures, les narratifs sont multiples, la gouvernance décentralisée et la tradition de dialogue y est très forte », affirme-t-il.

Résister à la déshumanisation

Offrir un espace bienveillant aux jeunes Israéliens et Palestiniens pour qu’ils découvrent ce qu’ils partagent, c’est le concept de l’association lausannoise Coexistences. Forte de 40 membres actifs, 120 membres et 250 sympathisants, elle a été créée en 2009 par les amis de Sylvie Berkowitch. Cette Israélienne originaire de Bordeaux a passé dix ans à Lausanne avant de contribuer au dialogue interculturel à Jérusalem. En 2006, elle invite à Lausanne un groupe de jeunes filles juives et palestiniennes. Un séjour déterminant. « Les familles qui les avaient accueillies ont décidé de se regrouper pour faire perdurer l’aventure. En onze ans, plus de 600 Israéliens et Palestiniens sont venus en Suisse », raconte Fiuna Seylan-Ongen, directrice de Coexistences. Au programme, quelques jours dans un chalet, des balades pour l’effort physique et la visite de lieux symboliques lors de la semaine en plaine, où les participants sont accueillis en paires mixtes (un Israélien et un Palestinien) dans les familles. « Confrontés à nous, ils réalisent ce qu’ils partagent », souligne Fiuna Seylan-Ongen.

Ces espaces de résistance à la déshumanisation permettent, de l’autre côté de la Méditerranée, d’imaginer un avenir ensemble malgré tout.

 

 

Le corail, les chouettes et le high-tech au service de la paix

L’Accord de Genève qui aurait pu résoudre le conflit israélo-palestinien a été signé le 3 décembre 2003 dans la Cité de Calvin. Dix-sept ans plus tard, les blocages intergouvernementaux ont brisé l’élan qui permettait d’espérer une résolution du conflit. Dissensions entre Hamas et Fatah, montée en puissance de la droite israélienne, présidence de Donald Trump… autant d’obstacles qui ont poussé la Suisse à imaginer d’autres façons de promouvoir le dialogue qu’à travers de grandes initiatives comme celle de l’Accord de Genève. « Nous sommes passés de la résolution de conflit au travail pour la paix à travers des projets sectoriels », détaille l’ambassadeur de Suisse en Israël Jean-Daniel Ruch.

Depuis 2019, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis prône la « diplomatie scientifique » comme ligne d’action de la Suisse dans le monde. Il s’agit de promouvoir les relations diplomatiques en élaborant et en encourageant des projets de recherche. Notamment dans le domaine de l’environnement, au vu de l’urgence posée par le réchauffement du globe terrestre. « La région où nous nous trouvons sera l’une des plus affectées par le changement climatique. En même temps, les interactions entre Israël et ses voisins sont quasi inexistantes. Il y a un immense espace de travail à défricher », relève l’ambassadeur Ruch.

Le projet-phare de la Suisse pour encourager ce dialogue scientifique, c’est le sauvetage de la barrière de corail dans le Golfe d’Aqaba. Sous l’égide de l’EPFL, des spécialistes israéliens, jordaniens, égyptiens et peut-être même saoudiens devaient passer cet été plusieurs semaines en Mer Rouge sur le Fleur de Passion, un voilier battant pavillon suisse. Observation et préservation de la faune et de la flore auraient dû offrir à ces scientifiques l’occasion d’échanges inédits. Hélas, l’épidémie de coronavirus a freiné le projet dont la réalisation a été remise à plus tard. En espérant qu’entretemps le pétrolier Safer ne crée pas l’apocalypse en Mer Rouge. Lesté d’un million de barils de pétrole, il menace de sombrer à tout moment.

Pour la Suisse, la promotion de la paix passe aussi par… les chouettes. Berne soutient le projet du Fribourgeois Alexandre Roulin, professeur au Département d’écologie et évolution de l’Université de Lausanne. Intitulé « Owl for Peace » (Chouette pour la paix), il s’agit d’un programme de conservation israélien, jordanien et palestinien consistant depuis 2002 à poser des nichoirs de part et d’autre des frontières pour observer et préserver ces oiseaux.

Un autre domaine prometteur pour promouvoir l’entente entre Israéliens et Palestiniens, c’est la high-tech. Dans la nouvelle stratégie suisse pour la région, le DFAE met l’accent sur l’innovation et l’emploi des jeunes. « Nous offrons un toit aux initiatives favorisant les échanges entre jeunes innovateurs israéliens et palestiniens », explique l’ambassadeur Jean-Daniel Ruch. Un cadre discret, bienveillant et neutre où le drapeau suisse fait office de garantie.