Entre Israël et le monde arabe, une paix à géométrie variable

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Accords commerciaux et soutien face à l’Iran, voilà la potion magique de Donald Trump pour rapprocher les pays arabo-musulmans de l’Etat hébreu. Face à une histoire complexe et des intérêts divergents, la formule ne marche pas toujours.

Et un « accord historique » de plus ! Jeudi, la liste des pays arabes en lien avec l’Etat hébreu s’est encore allongée après que le Maroc a annoncé qu’il ouvrait la discussion avec Tel Aviv. Encore un succès diplomatique pour le président américain Donald Trump qui les accumule depuis que le 13 août, il a pu annoncer sur Twitter que les Emirats arabes unis prenaient langue avec Tel-Aviv. Des paroles puis une poignée de mains le 15 septembre avec les Accords d’Abraham, auxquels s’est également joint le Bahreïn. Le 23 octobre, c’était au tour du Soudan de mettre fin à son statut de guerre avec Israël. « Le cercle vicieux du boycott et de l’hostilité a été brisé, menant à la fin graduelle du conflit israélo-arabe même si les relations avec les Palestiniens ne se sont pas améliorées », commente Ehud Yaari, expert israélien des relations avec le monde arabe auprès du Washington Institute for Near East Policy.

Cette succession d’annonces survient après quasi trente ans sans aucune avancée diplomatique. Jusqu’à récemment, seuls deux pays arabes avaient signé un accord avec Israël : l’Egypte en 1979 puis la Jordanie en 1994, un an après les Accords d’Oslo avec l’Autorité palestinienne. Une entente qui s’effrite sous l’effet de la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est : la paix est « de plus en plus froide », avait averti le roi hachémite en 2019. Par ailleurs, de nombreux pays arabes excluent toute relation avec l’Etat hébreu, parce qu’ils sont en guerre avec lui ou par attachement à la cause palestinienne. Il s’agit de l’Algérie, de la Syrie, de l’Irak, de la Libye, de la Somalie, du Koweït et de la Tunisie qui a accueilli pendant des années de hauts responsables palestiniens, notamment Yasser Arafat. Le Liban devrait quant à lui entamer bientôt des discussions avec Israël sur les limites de leur frontière maritime commune.

Dans un tel contexte, deux raisons expliquent comment Washington a réussi à pousser certains pays à franchir le pas avec Israël. D’abord, le besoin de soutien face à un ennemi commun, l’Iran ; ensuite, la perspective de l’intensification d’échanges commerciaux et militaires avec Israël et les Etats-Unis. Sans compter que Washington a su identifier des enjeux dans lesquels son appui est apprécié. Le cas du Maroc est un bon exemple. Au moment où Donald Trump annonçait le rapprochement de Rabat avec l’Etat juif, il affirmait reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, une immense étendue désertique revendiquée par Rabat depuis 40 ans. Et à peine deux heures plus tard, l’on apprenait la vente par les Etats-Unis d’au moins quatre drones aériens au Maroc. Logique : la guérilla séparatiste du Front Polisario qui combat le Maroc est financée par… l’Iran, à travers le Hezbollah. Le royaume marocain n’a plus de relation avec Téhéran depuis 2018.

Le Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et le Soudan ont également vu les retombées positives du rapprochement avec Israël. Washington a ôté Khartoum de la liste des pays « particulièrement préoccupants » en matière de liberté religieuse, mais le Soudan attend toujours le retrait de la liste des pays soutenant le terrorisme. Manama et Abou Dhabi peuvent quant à eux officialiser et intensifier les relations commerciales avec Israël, notamment en termes de technologies militaires et de surveillance, dans lesquelles l’Etat hébreu est un pionnier.

Le sultanat d’Oman et surtout, l’Arabie saoudite, pourraient être les prochains à serrer la main des Israéliens. C’est du moins ce qu’espèrent le gouvernement Netanyahou et le président américain Donald Trump après l’escapade de « Bibi » en Arabie saoudite fin novembre, pour y rencontrer le prince Salman. Cependant, l’idée d’une paix avec l’Etat juif provoque de profondes dissensions au sein de la monarchie saoudienne. Notamment entre le prince et son père, tenant d’une position beaucoup plus conservatrice et propalestinienne sur la question.

La grande question qui traverse ces alliances, c’est celle de l’après-20 janvier. Avec l’accession de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis, les cartes pourraient être rebattues puisque le démocrate a déjà annoncé qu’il reprendrait le dialogue avec l’Iran quant à son programme nucléaire controversé. Une perspective qui pousse un pays comme l’Arabie saoudite à la prudence. « Les Saoudiens pourraient imiter le Maroc qui fait un premier pas en direction d’Israël avant d’attendre de voir comment le vent tourne. Tout peut changer très vite », conclut l’expert israélien Ehud Yaari.