A Bethléem, une Nativité plongée dans le silence

La Basilique de la Nativité abandonnée des pèlerins. Photo: Aline Jaccottet pour L'Echo Magazine

Le coronavirus a coupé Bethléem du reste du monde. En 1600 ans de pèlerinage, ce n’était jamais arrivé. Un désastre pour les trois quarts des habitants qui vivent du tourisme.

Vide. Il est vide, le parvis de la Basilique de la Nativité que balaie une brise fraîche en ce début du mois de décembre. Vide, la basilique constantinienne où l’on peinait à circuler il y a un an tellement la foule était compacte. Vide, la crypte où dit-on, l’enfant Jésus a ouvert les yeux au monde ; il y a peu, elle résonnait de prières dans toutes les langues.

Depuis le début de la pandémie de coronavirus au mois de mars, Bethléem est coupée du monde. Le checkpoint principal à côté de la Tombe de Rachel, qui permettait d’y accéder rapidement depuis Jérusalem en voiture, a été fermé. Il faut faire un détour par des villages voisins ou traverser à pied, avec les risques sanitaires que cela comporte. Chaque jour, des milliers de Palestiniens se pressent contre les barrières en fer de ces couloirs surveillés par caméra pour aller travailler en Israël. Et dans les rues de Bethléem, beaucoup de gens ne portent pas de masque de protection. Pourtant les malades du coronavirus sont en forte augmentation en Cisjordanie, même si le virus aurait fait jusqu’à présent quatre fois moins de morts qu’en Israël. Début décembre, le premier ministre palestinien a d’ailleurs annoncé un bouclage de certaines villes pour une semaine au vu des chiffres. Et les Palestiniens de Cisjordanie testés positifs sont interdits d’entrée dans l’Etat hébreu, même s’ils sont guéris depuis. « Je n’ai pas pu sortir de Bethléem depuis mars. J’étouffe », affirme Maria, une chrétienne du village voisin de Beit Sahour.

Abandonnés par Ramallah

Bethléem est la ville palestinienne la plus affectée par l’impact du coronavirus, car 75% de ses habitants vivent directement ou indirectement du tourisme. « Hôteliers, guides, commerçants, chauffeurs de taxis, restaurateurs, artisans, agriculteurs, d’innombrables professionnels ont brutalement perdu tous leurs revenus », explique Elias Al Arja’, président de l’Association des hôtels arabes de Palestine. Dans le lobby de son établissement où les heures s’égrènent dans une morose lenteur, il chiffre le désastre. « En Cisjordanie, le secteur du tourisme perd chaque jour environ 1,8 million de dollars. Cela représente un trou de 600 millions de mars à octobre », assène-t-il. Elias Al Arja’ précise que parmi les 135 hôtels que compte la Cisjordanie dont 75 à Bethléem, « une dizaine seulement a rouvert depuis début novembre. Pas pour faire du chiffre, mais pour encourager symboliquement les visiteurs », explique-t-il derrière un masque.

A ces pertes faramineuses s’ajoute le sentiment d’avoir été abandonné par l’Etat. La plupart du temps, les Palestiniens actifs dans le tourisme n’ont pas été compensés d’un centime par l’Autorité palestinienne. « Aux yeux du gouvernement de Mahmoud Abbas, je n’existe tout simplement pas », fulmine Nasser, guide hispanophone en Cisjordanie, en Israël et en Jordanie. Désœuvré devant la Basilique de la Nativité, le robuste quinquagénaire tacle le leadership de Ramallah « qui fait crever de faim sa population après l’avoir enfermée ». Il suffit d’entrer dans un magasin pour saisis la profondeur de la défiance envers l’Autorité palestinienne ; les commerçants n’acceptent que les payements en cash. Il s’agit d’échapper au payement des impôts qui « enrichiraient un gouvernement qui nous a tourné le dos », lâche avec dépit un marchand de souvenirs.

Du costard au training

Avant la crise, Nasser croulait sous le travail ; désormais, il vit de ses économies, mais jusqu’à quand ? Peut-être lui faudra-t-il aller travailler sur les chantiers en Israël pour faire vivre sa famille. Une éventualité qu’il n’avait jamais envisagée, même aux pires heures des violences de la Deuxième Intifada, mais beaucoup d’habitants de Bethléem y pensent. Dans les territoires palestiniens, le droit au chômage n’existe quasi pas – et surtout pas pour les indépendants. « En guise de compensation, j’ai reçu 200 dollars en huit mois, je préfère en rire », raconte Elias Ghareeb, directeur de l’agence de voyages en Terre Sainte Grace Tours. Comme de nombreux Palestiniens, ce chrétien débonnaire s’est lancé dans le tourisme à la fin des années 1990, certain que la paix promise par les Accords d’Oslo attirerait des visiteurs. Aujourd’hui, c’est auprès d’Internet qu’il cherche son salut. En octobre, il a créé le site de vente en ligne de produits palestiniens « Touch of Grace ». L’affaire commence à marcher, mais « ce modèle ne pourra pas compenser les pertes économiques pour les Palestiniens. Des milliers d’artisans ont mis la clé sous la porte », déplore Elias Ghareeb. Il raconte cet ami directeur d’hôtel qui est passé « du costard au survêtement de sport » et guette les bonnes nouvelles. Comme l’arrivée des vaccins, par exemple. Le 9 décembre, les Israéliens ont réceptionné en grande pompe le premier avion transportant quelques 200’000 doses du laboratoire Pfizer. « Mais personne ne sait comment les Palestiniens vont pouvoir se les procurer », commente Elias, désemparé.

« Soyez la bienvenue ! Je vous offre un thé ? » Adnan a bondi de sa chaise : huit longs mois que personne n’est entré dans son échoppe, à quelques pas de la Basilique de la Nativité. Sur les étagères, des trésors en bois : les fameuses crèches de Bethléem, sculptées dans des oliviers parfois centenaires. Nichés en leur cœur, ces personnages qui illuminent tant de foyers à travers le monde : Jésus, Marie, Joseph, l’âne et le bœuf… Adnan saisit avec douceur les Rois mages. « J’espère que l’étoile qui les a guidés permettra au monde de retrouver le chemin de Bethléem ».

Pour soutenir Bethléem : www.touch-grace.com