Qui est juif? En Israël, la Cour suprême répond

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Les juges ont ordonné à l’Etat de reconnaître la pluralité religieuse juive en Israël. Ce coup porté au monopole conservateur provoque de fortes réactions

Qui est juif, et comment être juif? A ces questions existentielles, Esther Hayut a donné lundi une réponse qui fera date. La présidente de la Cour suprême israélienne a annoncé que l’Etat avait l’obligation de valider les conversions effectuées en Israël par des rabbins issus du judaïsme réformé. Le Ministère de l’intérieur doit octroyer la nationalité israélienne aux personnes concernées, ont tranché neuf juges sur dix.

Leur décision pourrait augurer des changements profonds dans la manière dont Israël envisage le judaïsme. Elle touche en effet au pouvoir des conservateurs dans ce pays, alors que la majorité des juifs vivant hors d’Israël sont affiliés aux mouvements réformés.

La différence entre les deux est fondamentale. Depuis le XIXe siècle, les réformés cherchent à adapter le judaïsme à la modernité alors que les orthodoxes et ultraorthodoxes veulent conserver intacts les 613 commandements de la Bible. «Cette tension réformés-conservateurs, c’est notre «Kulturkampf», un élément constitutif de notre histoire», commente le professeur à l’Université de Tel-Aviv Yossi Shein.

Pleins pouvoirs aux conservateurs

Or ce sont les conservateurs qui, depuis la création de l’Etat d’Israël, ont les pleins pouvoirs sur l’état civil. Un Israélien inscrit comme juif par l’Etat ne peut ni se marier, ni divorcer sans passer par eux, sous peine que son statut ne soit pas reconnu par l’Etat. Des rabbins réformés qui avaient voulu célébrer des mariages avaient d’ailleurs été arrêtés par la police il y a plusieurs mois, lors d’incidents qui avaient provoqué un tollé. Pendant 73 ans, aucun progressiste n’a ainsi eu le pouvoir de procéder à des conversions en Israël. Ce, alors que les conversions effectuées à l’étranger sont reconnues par l’Etat pour la «loi du retour», qui réglemente l’installation dans le pays et l’octroi de la nationalité.

«Les sionistes ont voulu une définition très large de qui est juif. Il s’agissait de créer un refuge pour quiconque se reconnaissait dans cette communauté persécutée», explique le professeur Yossi Shein. Ainsi, le Ministère de l’intérieur reconnaît toutes les conversions et il suffit d’avoir un grand-père ou une grand-mère juifs pour en être dispensé. «Il fallait partir à l’étranger pour se convertir quand on refusait l’autorité des ultraorthodoxes», résume Yossi Shein, spécialiste des relations entre Israël et la diaspora.

«Soulagement»

Ce pouvoir conservateur a été ébranlé lundi soir par la reconnaissance de la légitimité du judaïsme réformé en Israël. «Dans quelques générations, plus personne ne s’interrogera dans ce pays sur la façon dont une conversion a été menée», espère Yossi Shein. En attendant, c’est «un soulagement pour les 12 plaignants qui attendaient une décision depuis seize ans», souligne Shouki Friedman, directeur des recherches sur les relations Etat-religion à l’Institut d’Israël pour la démocratie.

La cour avait exigé du parlement une décision, mais «personne n’avait bougé parce que le sujet était trop délicat», commente Shouki Friedman. Et toutes les tentatives pour trouver un compromis entre Etat et mouvements non orthodoxes avaient échoué.

Pour un nombre très limité

La Cour suprême d’Israël sait que son jugement n’aura d’impact concret que pour un nombre très limité de personnes. En Israël, les mouvements réformés ne convertissent qu’environ 300 individus par année. Mais il a provoqué de très fortes réactions. «Israël était la seule démocratie du monde dans laquelle la liberté religieuse des juifs n’était pas garantie. Cette situation est terminée», a tweeté triomphalement le politicien Yaïr Lapid.

Du côté des religieux sionistes et des ultraorthodoxes, on s’indignait de l’interférence de la Cour suprême. Un tollé qui ne va pas forcément influencer la campagne électorale. «Chacun va rester dans son camp», prédit Shouki Friedman. En revanche, cette décision donne du grain à moudre au premier ministre Benyamin Netanyahou qui, empêtré dans des procès, dénonce depuis des mois les «abus» de la justice.

«La Cour suprême joue parfaitement son rôle de contre-pouvoir dans ce pays, raison pour laquelle elle est régulièrement la cible d’attaques», affirmait un observateur aguerri de la politique israélienne. Une cour qui, lundi, a rappelé la pluralité du judaïsme. Après tout, ne dit-on pas «deux juifs, trois opinions»?