Netanyahou sur la corde raide du coronavirus

Vaccination éclair ou mauvaise gestion, les électeurs israéliens livreront mardi leur verdict quant à l’action du premier ministre face à la pandémie

«Encore un peu de chianti?» Et hop, un autre verre rempli à ras bord. On n’en demandait pas tant, mais, ce soir, Idan est euphorique. Après presque un an de fermeture, le restaurant italien dans lequel il travaille comme serveur a rouvert ses portes. L’établissement est plein à craquer d’Israéliens sourire jusqu’aux oreilles et masque dans la poche. Comme si le coronavirus était resté au vestiaire par un tour de magie dont le secret tient en trois mots: certificat de vaccination. Sans ce précieux sésame, pas plus de ripailles au Vivino que de brasses à la piscine ou de nuitées à l’hôtel, à moins de pouvoir prouver avoir guéri du Covid-19.

C’est la règle imposée par le gouvernement israélien depuis la réouverture le 7 mars de nombreux lieux publics. Un programme de test rapide est également lancé cette semaine: il pourrait permettre à tout le monde de circuler librement. C’est que les chiffres de la pandémie n’ont jamais été aussi encourageants: moins de 600 cas graves, un taux de reproduction du virus à 0,7, et 2,1% de tests positifs. Les discothèques pourraient donc rouvrir dimanche et l’obligation de porter un masque en extérieur être bientôt levée.

«On revit grâce à Bibi!»

Cette apparente victoire sur le coronavirus pourrait devenir celle du premier ministre Netanyahou dans les urnes. Les Israéliens voteront mardi en une quatrième élection législative en moins de deux ans faute d’accord sur le budget et, plus largement, de gouvernance stable. Réunir 61 parlementaires sur 120 pour former une coalition s’avère impossible depuis 2019. Un chaos dont Netanyahou cherche à distraire ses compatriotes par la rapidité de la campagne de vaccination.

Près de 50% de la population entièrement immunisée en moins de quatre mois, il y a de quoi trinquer, s’enthousiasme Youval. «On revit, et c’est grâce à Bibi!» lance ce client du Vivino, cocktail à la main. Du shot au vote, il n’y a qu’un pas. C’est du moins ce que croit le parti de Netanyahou, le Likoud, au point de reprendre à son compte le slogan de la campagne de vaccination, «Retour à la vie», avant que la justice ne le force à en changer.

Une piqûre, et tout est pardonné? Pas sûr, au vu de ce que les Israéliens ont à reprocher à Netanyahou. «II a géré la crise de manière purement politicienne et non professionnelle, en allant souvent à l’encontre de l’avis des épidémiologistes», explique Gayil Talshir, spécialiste de la politique israélienne à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Vives critiques

Deux volets pèsent lourdement en sa défaveur. D’abord, l’application inégalitaire des restrictions sanitaires. Le gouvernement a fait preuve d’une indulgence étonnante face à la rébellion de nombreux juifs ultraorthodoxes (12% de la population) qui ont parfois refusé ouvertement d’appliquer les directives du Ministère de la santé. C’est que Benyamin Netanyahou ne peut pas se passer du soutien des partis ultraorthodoxes pour former sa coalition.

Ensuite, il y a le fiasco de l’aéroport. Ouvertures et fermetures de l’espace aérien, directives pour entrer et sortir se sont succédé sans que personne n’y comprenne rien. Et dans la confusion, des mesures extraordinairement sévères: toute entrée dans le pays a été interdite pendant des semaines, y compris aux Israéliens. Une situation rocambolesque à laquelle a mis fin la Cour suprême en déclarant la mesure anticonstitutionnelle car elle privait les Israéliens de leur droit de vote, l’Etat hébreu interdisant à ses ressortissants de se prononcer depuis l’étranger. Enfin, 6053 Israéliens sont décédés du coronavirus, «un chiffre très important si l’on pense que la population est particulièrement jeune», souligne Eytan Gilboa, directeur du Centre d’études en communication internationale à l’Université Bar-Ilan.

Rien n’est donc gagné pour Benyamin Netanyahou. «Il peut compter sur une base électorale solide qui se traduira en 30 sièges sur 120 au parlement, mais, pour le reste, les gens ont l’esprit tiraillé. Faut-il plébisciter la vaccination ou punir sa mauvaise gestion?» interroge l’analyste. Et les chiffres de l’immunité ne peuvent pas faire oublier ceux du chômage dans un pays auparavant en situation de quasi plein emploi: 750 000 personnes sans travail et des milliers d’entreprises en faillite. Des difficultés qui se traduisent par un nombre record d’électeurs incertains. Selon une analyse publiée jeudi par l’Institut pour la démocratie en Israël, 30% d’Israéliens ne savent toujours pas pour qui voter mardi. Un désarroi en profond décalage avec l’image conquérante que Netanyahou cherche à donner de lui-même et de son pays.