Amos Gitaï: «L’hermétisme d’Israël n’est pas une fatalité»

Le réalisateur Amos Gitaï refuse de céder au pessimisme malgré ce qu’il voit comme une politique toujours plus réactionnaire du gouvernement de Benyamin Netanyahou
En presque quarante ans de carrière, il a réalisé plus de 90 films et documentaires. Auteur des célèbres longs-métrages Kaddosh, Kippour et Kedma, le cinéaste originaire de Haïfa Amos Gitaï se destinait à devenir architecte avant que naisse sa vocation pour la caméra durant la guerre de Kippour en 1973. Depuis, il ne cesse d’explorer l’identité d’Israël, son histoire et son devenir. Actuellement à Paris, le célèbre réalisateur a monté une exposition à la Bibliothèque nationale de France autour du premier ministre israélien et figure de proue des Accords d’Oslo Yitzhak Rabin. Une création également déclinée en un ouvrage paru aux Editions Gallimard: Amos Gitaï – Yitzhak Rabin. Chroniques d’un assassinat. Ce bâtisseur engagé porte un regard sévère sur son gouvernement.
Les Palestiniens sont les grands absents de cette campagne électorale et au-delà, de l’horizon même des Israéliens. Pourquoi?
Parce qu’il manque aujourd’hui une figure visionnaire qui aurait le courage, je dirais même l’optimisme, de créer un dialogue en dépit de ce qui se passe au Proche-Orient. Cette absence est dramatique. J’éprouve aujourd’hui la même sensation qu’avant et pendant la guerre du Liban de 1982: les lieux de conflit ne cessent de s’étendre en raison de la politique du gouvernement israélien. Aujourd’hui, nous sommes à nouveau confrontés à une réalité politique mouvante, manipulée avec machiavélisme par le premier ministre Netanyahou alors que les institutions juridiques sont fragiles. Ce gouvernement très réactionnaire intervient dans tous les domaines, y compris la justice, la culture et l’éducation, pour limiter la liberté d’expression et faire circuler les propos racistes. L’impasse est totale.
Quel rôle peut jouer l’art dans ce contexte?
Il peut stimuler ce qui, peut-être, alimente l’espoir. Le film, la pièce de théâtre et les expositions que j’ai consacrés à l’assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin en 1995 sont un acte citoyen. Tout comme mon dernier film, «Laïla à Haïfa» (2020). Il se déroule dans une boîte de nuit devenue refuge pour ceux qui veulent briser les frontières entre Juifs et Arabes, hommes et femmes, Israéliens et Palestiniens.
Où situez-vous les sources d’espoir en dehors de la création artistique?
En dépit de l’océan de haine qui les environne, les associations de défense des droits de l’homme mènent un combat véritablement patriotique. Malgré le rejet suscité par leur action, elles restent convaincues de la nécessité de tendre la main aux Palestiniens qui vivent sous occupation depuis plus de cinquante ans – c’est-à-dire les deux tiers de l’existence d’Israël. Elles sont la preuve vivante qu’il existe des personnes sincèrement désireuses de réconciliation. Israël n’appartient pas qu’aux discours racistes qui contaminent certains responsables politiques actuels.
Quel est votre sentiment quant à l’avenir de votre pays?
Je me souviendrai toujours de la réponse de Bassam Shakaa, l’ancien maire de Naplouse victime d’un attentat de l’extrême droite israélienne, quand je lui avais demandé dans mon film Journal de campagne (1982) s’il était optimiste ou pessimiste: «Etre pessimiste est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.» Ses mots résonnent dans tout mon travail et mon engagement. J’espère que les prochaines générations connaîtront le calme afin de découvrir cette grande région qu’on appelle le Proche-Orient.
N’est-ce pas une vision utopique?
L’hermétisme des frontières et l’excès de nationalisme ne sont pas une fatalité. Quand j’étais enfant, ma mère laissait toujours deux tickets de train sur l’étagère au-dessus de la table du petit-déjeuner. Il y était écrit tout simplement: «Haïfa-Beyrouth», un souvenir de la lune de miel de mes parents à Baalbek, au Liban, dans les années 1930. Je lui avais demandé pourquoi elle gardait ces billets en évidence alors que le Liban était un pays ennemi. Elle m’avait répondu: «C’était possible autrefois, et peut-être que cela le sera de nouveau un jour.»