L’absence de pèlerins dévastatrice pour les chrétiens de Terre Sainte

La Basilique de la Nativité abandonnée des pèlerins. Photo: Aline Jaccottet pour L'Echo Magazine

Les Palestiniens chrétiens vivant en Israël ou dans les territoires occupés travaillaient massivement dans le domaine du tourisme. La crise qui dure devient leur chemin de croix à l’heure d’une deuxième Pâques sans visiteurs.

Des rues désertées. Des magasins fermés. Des visages crispés. A Bethléem, l’ambiance était tendue à la mi-mars à la fin d’un confinement de douze jours, décidé par l’Autorité palestinienne au vu de l’augmentation du nombre de malades graves pris en charge par les hôpitaux. La situation se dégrade et les vaccins tardent à arriver alors que de l’autre côté du mur de séparation, le gouvernement israélien parvenu à immuniser 50% de sa population rechigne à inoculer les Palestiniens. En même temps, il a fermé l’espace aérien plusieurs semaines, empêchant ses propres ressortissants de rentrer chez eux. Une inflexibilité qui en cette Pâques 2021, augure d’un long chemin vers la résurrection économique, particulièrement pour les Palestiniens travaillant dans le tourisme. Si le secteur pèse 3% du PIB israélien selon le haut fonctionnaire du Ministère du Tourisme Pini Shani, il représente un tiers de l’économie palestinienne selon le Palestinien Tony Khashram, vice-président des tours opérateurs de Terre Sainte. « Le chiffre officiel de 10% ne prend pas en compte tous ceux qui bénéficient indirectement du tourisme, du boucher qui livre la viande aux hôtels au marchand de chocolat de la Vieille Ville de Jérusalem auquel les groupes achètent des friandises », affirme-t-il.

Les chrétiens sont les premières victimes de cette crise. Ils comptent en effet pour « 95% des 50 tours opérateurs palestiniens, ils représentent la grande majorité des 650 guides touristiques accrédités et tiennent la plupart des 210 hôtels et guest houses de Cisjordanie et de Jérusalem-Est », détaille Tony Khashram. La situation est extrêmement inquiétante à Bethléem et dans les municipalités environnantes de Beit Sahour et Beit Jalla où tout le monde, du guide à l’artisan, gagnait son pain grâce au visiteur. « Il y a là des gens qui ont faim », dit Tony Khashram.

Côté israélien aussi, les chrétiens sont particulièrement touchés. « La fermeture de l’espace aérien a poussé les professionnels à se rabattre sur le tourisme intérieur, or les lieux de pèlerinage chrétiens n’ont aucun intérêt pour la grande majorité des juifs Israéliens. Nous connaissons des sites, autour du lac de Tibériade notamment, qui n’ont accueilli aucun visiteur depuis des mois », relève Pini Shani, haut fonctionnaire du ministère du tourisme.

Quant à l’aide apportée à ce secteur laminé, elle est très différente selon qu’on travaille en Israël ou dans les territoires occupés. « Le gouvernement a octroyé 300 millions de shekels (84 millions de francs suisses) aux entreprises pour les aider à passer la crise », affirme Pini Shani du ministère israélien du tourisme. L’homme est optimiste depuis que le 7 mars, Israël a largement rouvert hôtels, restaurants et lieux culturels aux personnes vaccinées. Côté palestinien, les résidents de Jérusalem-Est reçoivent bien l’aide sociale de l’Etat d’Israël mais en revanche, ceux de Cisjordanie sont privés de tout, déplore Tony Khashram. « Nous avons beau tirer la manche du Premier ministre, l’Autorité palestinienne a d’autres priorités et les donateurs étrangers qui auraient pu nous soutenir sont eux-mêmes en difficulté ».

La chute est d’autant plus brutale que 2019 avait été l’année de tous les records : 4,5 millions de visiteurs dont 1,5 millions de pèlerins. L’afflux d’argent a incité les professionnels du tourisme à faire des investissements dont ils ne peuvent aujourd’hui plus honorer les créances, ce qui amplifie encore l’effet négatif de la crise. « Après avoir utilisé toutes leurs économies, les gens commencent à vendre leurs biens pour acheter à manger », affirme le catholique qui chapeaute plusieurs associations de secours.

Le coronavirus n’est pas le premier soubresaut que traverse ce Proche-Orient chaotique. Au tournant des années 2000, la Deuxième Intifada avait vidé la Terre Sainte de ses visiteurs. « Mais nous recevions tout de même des missions, des médias et puis il y avait toujours des courageux pour se rendre sur place », relève Tony Khashram. L’énergie pour affronter la situation, les chrétiens de Terre Sainte la puisent donc plus loin, dans les tréfonds de leur histoire agitée. Famines, guerres et occupations se sont succédé, permettant l’accumulation d’un savoir de résilience transmis dans chaque famille. Sans compter la profonde solidarité qui fait la force de cette société. « Personne ne fermera la porte au voisin venu quémander un morceau de pain », conclut Tony Khashram.