Benyamin Netanyahou désigné la mort dans l’âme

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Forcé de charger un député de former une coalition, le président Reuven Rivlin n’a eu d’autre choix qu’un premier ministre déjà accablé par son procès

«J’ai peur pour mon pays.» Reuven Rivlin est à bout et il l’a fait savoir à ses compatriotes. Mardi, le président israélien a annoncé s’être résolu à désigner Benyamin Netanyahou pour former un gouvernement de coalition. Un choix contraint au point que l’octogénaire avoue: «Si la loi m’y autorisait, je remettrais cette décision aux représentants du peuple. Mais je ne le peux pas.» Et de prononcer cette sévère mise en garde: «L’existence de l’Etat d’Israël ne peut être considérée pour acquise.»

Si «Ruby» est au désespoir, c’est d’abord parce que le parlement israélien s’est transformé en loto sans combinaison gagnante. Pour la quatrième fois en moins de deux ans, aucun député ne parvient à rassembler autour de lui 61 élus sur 120 pour former un gouvernement. Benyamin Netanyahou (Likoud, droite) peut compter sur 52 alliés et Yaïr Lapid (Yesh Atid, centre), 45. Quant au sioniste religieux Naftali Bennett il n’a l’appui que des sept élus de son parti. Et quelque 16 députés ont refusé de recommander qui que ce soit au poste de premier ministre.

Vers de cinquièmes élections

Résultat, au jour de l’investiture des députés du parlement, «aucun candidat n’a de chance réaliste» de créer une coalition stable pour le pays, écrit Reuven Rivlin. Netanyahou a certes maintenant 28 jours pour œuvrer et peut obtenir une extension de deux semaines, mais il est fort probable qu’au final de nouvelles élections – les cinquièmes – devront être convoquées.

Dans sa lettre, le président israélien parle de «choix moral et éthique difficile», tout en avertissant: «Ce n’est pas le rôle de la présidence de se substituer aux pouvoirs législatifs ou judiciaires.» Une manière pour cet homme connu pour son respect des institutions de renvoyer juges et députés à leurs responsabilités dans cette situation ubuesque: Netanyahou désigné pour rassembler le pays alors qu’il vient de se lever du banc des accusés.

Le procès de «Bibi», premier chef de gouvernement de l’histoire d’Israël à faire face à des accusations criminelles en cours de mandat, a en effet repris avec l’audition des témoins. Accusé de fraude, corruption et abus de pouvoir dans trois affaires, «il a usé de façon illégitime du grand pouvoir gouvernemental qui lui est conféré, entre autres pour demander et obtenir des avantages injustifiés de propriétaires de médias importants en Israël pour faire avancer ses affaires personnelles, notamment quand il voulait se faire réélire», a affirmé la procureure de l’Etat d’Israël Liat Ben Ari.

Une impression qui ne risque pas de changer après la déposition du premier témoin, Ilan Yeshua, ancien directeur général de Walla. Un site très populaire en Israël dont le propriétaire, Bezeq communications, aurait dès 2012 bénéficié de faveurs s’élevant à des millions de shekels en échange d’une couverture favorable à Netanyahou alors ministre de la Communication. Ilan Yeshua a décrit lundi un premier ministre surnommé «Kim» en référence au dictateur nord-coréen tant ses demandes étaient pressantes et constantes. Il a aussi dit avoir reçu l’ordre de détruire des preuves et de trafiquer ses dépositions. Quelques heures après son témoignage, Ilan Yeshua a été menacé de mort.

«République bananière»

Et comme si tout cela ne suffisait pas, la lune de miel est terminée entre l’Etat hébreu et l’entreprise Pfizer qui l’accuse de retards dans le paiement des dernières 2,5 millions de doses de vaccin et a interrompu les livraisons jusqu’à nouvel ordre. Inquiets à l’idée de voir un gouvernement en transition laisser sa créance en souffrance indéfiniment, les responsables de la compagnie pharmaceutique se sont dits surpris qu’une telle situation survienne dans un pays organisé. Un retard qui met à mal l’avance israélienne dans la bataille contre le coronavirus et a poussé Pfizer à traiter Israël de «république bananière» selon la radio de l’armée israélienne. De quoi contribuer au malaise des Israéliens face à leurs dirigeants empêtrés dans un chaos dont même les paroles de Reuven Rivlin ne pourront les consoler.