Au cœur de Natanz, la mise en garde israélienne

Photo: IStock

Par les paroles et les actes, le gouvernement Netanyahou a fait savoir clairement au nouveau chef du Pentagone son opposition à l’ouverture de nouvelles discussions avec l’Iran sur son programme nucléaire 

Face à l’Iran, tirer la sonnette d’alarme et montrer au nouveau venu américain de quoi on est capable. Voilà ce qu’ambitionnait Israël pour la première visite du chef du Pentagone sur son sol. Mission accomplie, par les paroles mais aussi par les actes. Israël avait averti qu’il n’hésiterait pas à recourir à des moyens militaires en cas d’impasse diplomatique. Nul doute qu’aux yeux des dirigeants israéliens la reprise mercredi des discussions à Vienne pour trouver une issue diplomatique à ce dossier bloqué depuis trois ans en est une. Tout comme le changement de ton du nouveau locataire de la Maison-Blanche à l’égard de Téhéran.

Une cible de grande valeur

Les Israéliens sont furieux à la perspective que Washington rouvre les négociations trois ans après avoir réussi à convaincre Donald Trump de quitter l’accord sur le nucléaire de 2015, que respectait pourtant Téhéran selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). L’Iran avait rompu à son tour ses engagements en 2019 et, aujourd’hui, il compterait 14 fois plus d’uranium faiblement enrichi que la limite fixée par l’accord de Vienne conclu en 2015, selon le dernier rapport de l’AIEA.

Pour envoyer son message aux Américains et aux Iraniens, Israël a choisi une cible de grande valeur: la centrale nucléaire iranienne de Natanz. Ce n’est pas la première fois que le site est attaqué. Il y a dix ans, une opération israélo-américaine appelée Stuxnet avait visé la même usine, ralentissant les progrès de l’Iran grâce à un piratage informatique. Cette fois-ci aussi, les dommages sont très importants. Une explosion aurait détruit le système d’alimentation interne des centrifugeuses placées sous terre au point qu’il faudrait au moins neuf mois à l’usine pour reprendre entièrement sa production d’uranium enrichi. Une durée considérable alors que Téhéran, qui n’est plus engagé par aucun traité, pourrait parvenir très rapidement à ses fins.

Cette opération s’est déroulée à un moment clé. Côté iranien, elle a eu lieu au lendemain de l’annonce en grande pompe par le président Hassan Rohani de la production d’une ligne de 164 centrifugeuses avancées IR-6 à Natanz, lors de la Journée nationale de la technologie nucléaire. Les experts estimaient que ce nouvel équipement multipliait par dix la rapidité d’enrichissement de l’Iran.

Côté américain, l’attaque de Natanz a eu lieu quelques heures à peine avant l’arrivée du secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, sur le tarmac de l’aéroport de Ben Gourion. Spécialiste de l’Iran à l’Université de Herzliya, Meïr Javedanfar est certain qu’Israël a mis au courant les Etats-Unis en amont de cette rencontre. «On voit mal l’Etat hébreu infliger un camouflet au nouveau chef du Pentagone en menant cette opération sans l’en informer, à la veille de sa première visite en Israël», estime-t-il. Qui ne dit mot consent? En tout cas, «les conflits ne sont pas étalés sur la place publique comme sous l’administration de Barack Obama».

Deux mois tendus

Les divergences se ressentaient pourtant. Alors que les Israéliens n’ont pas cessé d’évoquer le programme nucléaire iranien pendant sa visite, Lloyd Austin a soigneusement évité de mentionner la position américaine à ce sujet, même quand ses interlocuteurs abordaient la question devant lui. Un laconisme prudent qui tranchait avec le volontarisme affiché par le politicien israélien Benny Gantz, qui affirmait: «Nous allons travailler de près avec nos alliés américains pour s’assurer que tout nouvel accord avec l’Iran […] protégera l’Etat d’Israël.» Les chefs de l’armée et des services secrets israéliens se rendront d’ailleurs à Washington dans les prochains jours. 

La tension monte depuis plusieurs semaines entre lsraël et l’Iran, ennemis jurés depuis la Révolution islamique de 1979. Plusieurs attaques ont eu lieu en mer de part et d’autre. Deux opérations iraniennes sur des navires marchands israéliens en moins de deux mois, une explosion imputée à Israël sur un navire des Gardiens de la révolution en mer Rouge… Pourtant, la guerre n’est pas si proche. «L’Iran pourrait bien sûr répliquer, mais cela le desservirait à long terme, conclut Meïr Javedanfar. Son économie est à genoux à cause des sanctions, de la corruption, du coronavirus. Il n’a rien à gagner d’une confrontation militaire.»