La folle semaine des députés israéliens

Photo: Istock

Au lendemain du « oui » de Neftali Bennett, un véritable parcours d’obstacles attend Yaïr Lapid et les députés qu’il est parvenu à réunir autour de lui.

En Israël, on sait de quoi l’univers est capable en sept jours. Chacun retient donc son souffle alors que la droite religieuse a annoncé dimanche qu’elle rejoignait les partis du centre et de la gauche afin de créer un gouvernement d’union nationale. Yaïr Lapid, le centriste à la tête de ce projet, en annoncera d’ici mercredi la composition au président israélien. Après quoi, les parlementaires auront une semaine pour dire s’ils l’approuvent.

« Dans une semaine, Israël peut entrer dans une nouvelle ère », a prédit Yaïd Lapid lundi après-midi. Une ère dans laquelle pour la première fois depuis 1977, la politique israélienne ne serait plus menée par le Likoud et les juifs ultra-orthodoxes, une ère qui mettrait fin aux élections à répétition et au règne de Netanyahou. L’enjeu est énorme. « Israël n’a connu de gouvernement d’union nationale qu’à deux reprises : à la veille de la Guerre des Six-Jours de 1967 et en 1984 lors de celle du Liban, quand le pays a plongé dans la crise économique », relève l’analyste israélien Eytan Gilboa. Série d’élections infructueuses, pandémie de coronavirus, violences intercommunautaires, leadership verrouillé, tous les ingrédients sont réunis pour que l’urgence prévale sur les divergences. Mais les 61 parlementaires composant l’éventuel futur gouvernement réussiront-ils à relever les défis de la folle semaine qui les attend ?

Un bloc en patchwork

Premier enjeu : la diversité des idéologies et des intérêts. « Trois partis de droite, deux partis de gauche et deux partis du centre », résume Eytan Gilboa. On imagine la vigueur des débats autour de certains sujets… « Yaïr Lapid et Neftali Bennett ont annoncé que tous les dossiers à forte teneur idéologique seraient gelés un an au moins, mais c’est irréaliste dans ce contexte. Comment gouverner Israël sans aborder la question de la poursuite de la colonisation, par exemple ? », interroge la spécialiste de la gauche israélienne Tamar Hermann.

Pour l’instant, l’hétéroclite gouvernement d’union nationale comporte tous les partis, à part le Likoud, les ultra-orthodoxes et les Arabes israéliens – qui pourraient le rejoindre dans les prochains jours. Il est scindé en deux blocs : celui de Yaïr Lapid (majoritairement centre-gauche) qui compte 45 députés et devrait se voir attribuer 18 portfolios, et celui de l’homme de la droite religieuse Neftali Bennett (12 députés) qui devrait recevoir huit postes ministériels. La répartition de ces emplois, voilà le deuxième enjeu : tout le monde se bat pour devenir ministre, menaçant de quitter la coalition s’il ne reçoit pas son dû. Avigdor Liebermann (Israel Beitenou) et Benny Gantz (Bleu Blanc) s’écharpent par exemple autour du portefeuille de l’Agriculture, qu’ils convoitent tous les deux. Troisième enjeu dans les jours à venir : la répartition du budget de l’Etat, caillou dans le soulier des parlementaires israéliens depuis des mois. En conséquence, Israël tourne avec un financement datant de 2017, largement insuffisant pour absorber l’onde de choc du coronavirus. Un contexte très fragile dans lequel « ce qui compte le plus, c’est la confiance entre Lapid et Bennett », précise Eytan Gilboa. Le spécialiste rappelle que dans les années 1980, le poste de Premier ministre avait fait l’objet d’un tournus comme ce qui est prévu aujourd’hui. « Dans le passé, ça a fonctionné. Il n’y a pas de raison que ce ne soit pas le cas cette fois-ci ».

Encore faut-il que les députés israéliens laissent une chance à ce gouvernement d’union nationale. Pour l’instant, seuls 61 élus du Parlement sur 120 y adhèrent : si un seul d’entre eux tourne sa casquette, toute l’opération échoue et « Benjamin Netanyahou œuvre dans ce sens en faisant des promesses voire en intimidant et en menaçant de révélations s’il dispose d’informations compromettantes sur les députés », explique Tamar Hermann. Le chef du parti Yamina Neftali Bennett ainsi que sa numéro 2 Ayelet Shaked ont d’ailleurs dû être mis sous protection policière dimanche. Un portait de Bennett grimé en militant palestinien circule sur Internet, semblable en tous points à celui dénigrant le Premier ministre Itzhak Rabin juste avant son assassinat en 1995. Et Benjamin Netanyahou a livré dimanche soir un discours au vitriol à son pays, allant jusqu’à comparer l’union entre Bennett et Lapid au régime iranien. Le président de l’Etat d’Israël Reuven Rivlin connaîtra ainsi mercredi le nom de son ou sa successeure dans un climat particulièrement délétère lui qui, au fil des sept années de son mandat, n’a cessé de plaider pour la réunification d’un Israël toujours plus clivé.