Converties à l’islam

Photo: CC(by-nc-nd) Umar Nasir
Depuis qu’est sortie la photo de la rappeuse française Diam’s, voilée devant une mosquée, une question taraude ses fans: comment une rebelle peut-elle se convertir à l’islam? Explication d’une tendance pas si exceptionnelle et témoignages d’ici.
Publiée le 8 octobre dans Paris Match, la photo fait sensation. On y voit une jeune femme voilée de noir marcher dans la rue avec son mari. Rien d’extraordinaire a priori… et pourtant. Cette musulmane qui sort d’une mosquée, c’est la rappeuse Diam’s, connue pour sa verve, sa révolte.
On croit rêver. Rien ne présageait que la rebelle à casquette passerait de la scène à la mosquée. Depuis, son entrée en religion suscite des débats passionnés sur les forums Internet. Des exemples: «Il faut suivre la mode, voyons!!!» ou alors: «J’espère juste que d’ici à cinq ans elle nous sorte pas un livre du genre Diam’s conversion forcée.» Tout autre son de cloche sur un autre site, plus fréquenté par les musulmans: «Je vois pas ou est le pb, dès qu’on parle islam ça devient tout de suite une affaire d’Etat!» ou «Diam’s a enfin compris le sens de la vie».
Pourquoi la chanteuse, d’origine chrétienne orthodoxe, s’est-elle convertie? Elle-même se tait, mais les suppositions fleurissent: passé difficile, propulsion dans le monde impitoyable du showbiz… Mallory Schneuwly Purdie, membre du Groupe de recherche sur l’islam et chercheuse à l’Observatoire des religions en Suisse, relève que les femmes qui se convertissent sont souvent en quête de repères. Elle suppose que Diam’s les aurait trouvés dans une tradition islamique vieille de quinze siècles, qui contraste avec un monde débridé et déroutant, où Diam’s a toujours dit se sentir fragile. «L’islam lui donne un mode de vie et des règles claires sur lesquels elle peut se reposer.» La chercheuse écarte la théorie d’une volte-face qui fasse de la pub à l’auteure de La boulette. «La voir voilée de noir n’est vraiment pas «vendeur». Cela donne une image de Diam’s extrêmement déroutante.»
Diam’s musulmane finira-t-elle par s’assagir? «Pas forcément», répond Mallory Schneuwly Purdie, qui a fait une thèse sur le rôle du référent religieux dans la construction identitaire. «On imagine toujours que la religion est là d’abord pour offrir une cohésion sociale: on sous-estime son caractère rebelle. Toutes les religions ont, à l’origine, contesté un ordre social établi. Peut-être que Diam’s musulmane et voilée continuera de se battre pour les causes qui lui tiennent à cœur.» Et la chercheuse de s’agacer des préjugés. «Ce n’est pas parce que Diam’s se convertit qu’elle se transforme en femme soumise à des lois patriarcales. Certaines musulmanes sont aussi émancipées que moi!»
Oui, le rap musulman existe!
Peut-on rapper et porter le voile? Crier des mots réputés grossiers et se prosterner pour la prière? Dans tous les cas, ses fans ont hâte de constater en personne si sa prestation sur scène s’est modifiée. Ils ne vont pas attendre longtemps: elle sera samedi prochain à Genève aux côtés de Stress et le 28 novembre aux Docks, à Lausanne. De plus, son album, S.O.S est annoncé pour le 16. Pour Patrick Haenni, chargé de recherche à l’Institut Religioscope, Diam’s peut sans peine poursuivre sa carrière. Spécialiste de la musique islamique engagée, il affirme qu’un rap musulman existe, parfois grâce à des convertis comme Abd el Malik: «Depuis dix ans, un genre musical nouveau s’est développé: la «nashid», chanson islamique. On y trouve de tout, mais ce qui s’affirme maintenant, c’est la volonté d’exister à travers un islam culturellement normalisé. Les milieux musulmans l’utilisent facilement pour diffuser des messages positifs sur l’islam.» Pop hallal, mecca cola, streetwear islamique et voile branché: aux antipodes des extrémismes, nombre de jeunes musulmans veulent vivre leur islam dans le monde actuel. «L’islam, pour eux, est un supplément d’âme, pas un projet politique.»
Diam’s, par sa conversion, pourrait être l’icône des musulmans dans cette quête. «Et c’est quand même plus sympa d’avoir une jeune rappeuse qu’un barbu afghan pour symbole!» sourit-il. Mais la suite de la carrière de la rappeuse dépendra aussi de la mouvance musulmane qu’elle suit et de son niveau de pratique religieuse. «Le salafisme, un mouvement rigoriste d’Arabie saoudite, interdit par exemple d’entendre une femme chanter en public», précise Patrick Haenni.
Même si ses croyances s’avèrent compatibles avec ses coups de gueule sur scène, Diam’s véhicule un drôle de message. Elle montre que des filles ouvertes et libres peuvent se sentir attirées par une religion qui passe pour très codifiée. En France, la conversion est aussi parfois une manière de choisir son camp, dans une société très divisée: «La conversion se fait souvent par le biais d’une bande de potes, dans le cadre de la culture des banlieues qui passe autant par le rap que par l’islam», explique Patrick Haenni.
Rien d’aussi exacerbé n’est à relever en Suisse, où, «issus des Balkans et de Turquie, les musulmans ne sentent pas l’humiliation de la colonisation et échappent plus ou moins à celle du déclassement social et économique». Aucune étude sur la conversion à l’islam en Suisse n’a encore été faite. Impossible donc de savoir combien d’Helvètes font le pas chaque année ou si le nombre de conversions à l’islam augmente chez nous.
Qu’est-ce qui pousse donc les femmes qui se convertissent à embrasser l’islam? Qu’y trouvent-elles? Beaucoup font le pas par amour d’un homme. «C’est normal: quand on aime quelqu’un, on s’intéresse à ce qui le rend heureux. Mais il n’y a pas qu’en islam qu’on se convertit par amour!» précise Mallory Schneuwly Purdie, qui ajoute que chaque conversion est singulière. «On s’engage différemment selon le rapport qu’on entretient avec Dieu, avec soi-même, avec la société dans laquelle on vit et avec les autres religions.» Latifa (voir ci-contre) l’atteste: «Il y a autant de chemins vers l’islam que d’être humains.»
Amour divin, amour humain
Mais il n’y a pas que l’amour conjugal. Certaines deviennent musulmanes parce qu’elles cherchent des valeurs spirituelles clairement énoncées… ou par solidarité avec le monde arabe. Ainsi Mariam, étudiante suisse de 24 ans, élevée dans une famille laïque où l’on fête Noël «sans plus», a commencé à s’intéresser à cette religion à travers des amies. Elle prend d’abord des cours de calligraphie et d’arabe, puis lit le Coran à l’âge de 15 ans: «J’entendais beaucoup de préjugés sur le statut des femmes. J’ai voulu savoir pourquoi tout le monde critiquait l’islam.» Puis il y a le 11 septembre: l’islam devient un sujet hypermédiatisé, avec une forte connotation négative. Mariam, qui s’est «toujours sentie proche des gens exclus», prend fait et cause pour l’islam, lit, étudie… et se convertit. La jeune femme porte désormais le voile et se sent en accord avec certaines valeurs importantes: la pudeur, une certaine éthique dans les rapports avec autrui, en particulier avec les hommes.
Mais sa famille a mal vécu sa conversion. «Mes parents ont été très choqués. Ils ont accepté mon choix, mais refusent d’en parler. La religion leur fait peur, et l’islam encore plus. Ils imaginent qu’en tant que femme, je vais être maltraitée.» Elle, elle soutient que c’est le contraire qui se produit: «J’ai toujours pensé qu’hommes et femmes étaient égaux. Les féministes occidentales disent que les femmes doivent se battre pour obtenir cette égalité. Mais en islam, c’est Dieu lui-même qui me garantit que je suis l’égale de l’homme. C’est très rassurant, il n’y a plus besoin de se battre.»
Diam’s aurait-elle, elle aussi, trouvé la paix intérieure
et la reconnaissance d’une communauté? Parions qu’elle n’a pas fini de se battre pour se le prouver. Le premier
titre de son nouvel album, S.O.S, mélange rap et tonalités arabes. Il s’appelle «I Am Somebody»: «Je suis quelqu’un.» C’est déjà un début…
«L’islam m’a apporté une grande sérénité»
C’est dans un lieu neutre que Marina nous donne rendez-vous. «Je ne veux pas que ma famille me reconnaisse», précise-t-elle. Ni voile ni convictions affichées: elle tient à rester discrète. Ses parents ne sont pas vraiment au courant de ses croyances.
Ils savent qu’elle est convertie mais préfèrent ne pas en parler. Née dans une famille protestante pas très pratiquante, elle a tout de même été baptisée et a fait sa confirmation. «Jusqu’à l’adolescence, je n’allais pas trop à l’église mais je croyais ce qu’on me disait.» Depuis sa tendre enfance, Marina entend parler des pays arabes à travers son père qui y a vécu. «Il avait d’ex- cellents souvenirs, ça m’a donné envie d’y aller.» A l’âge de 9 ans, elle découvre le Maroc; enthousiasmée, elle y retournera à 15 ans. C’est le début d’un intérêt croissant pour d’autres cultures et religions.
Elle se convertit, à 16 ans, dans des circonstances pour le moins particulières. Voyant son intérêt pour l’islam, un ami musulman l’emmène dans un centre islamique. L’imam la prend à part. «Il m’a expliqué la création du monde, l’existence de Dieu, l’importance des prophètes et les accomplissements de Mahomet… puis m’a demandé si j’étais d’accord avec lui.» Prise au dépourvu, Marina n’ose pas dire non. Elle répète après l’imam la phrase qui fait d’elle une musulmane. «Il m’a félicitée puis m’a dit: «Maintenant, nous sommes frère et sœur…» Disons que j’étais un peu choquée en ressortant», raconte-t-elle en riant.
Les manières cavalières de l’imam ne la rebutent pas: «Il croyait faire une bonne action. Le principal, pour l’islam, est l’intention d’être musulman. L’apprentissage de la religion vient souvent par la suite.» Elle est peu pratiquante, mais sa conversion la rapproche de ceux qu’elle croise au cours de ses voyages en Inde, en Iran, dans les pays du Golfe… et au Sénégal, où elle rencontre son mari Souleyman en 2001.
Elle apprécie cependant l’état d’esprit des familles dans lesquelles «chaque geste a un sens profond, qui vise à trouver Dieu». Marina apprécie la philosophie de l’islam. «Dire inshallah (si Dieu veut), c’est affirmer que nous sommes ouverts à ce qui nous arrive, car c’est la volonté d’Allah. L’islam m’a apporté une grande sérénité.»
« J’ai été touchée par la vérité »
Foulard autour de la tête et tunique de lin, c’est avec chaleur que Latifa nous accueille dans son appartement genevois, où se côtoient calligraphies arabes et arrangements floraux zen. Latifa répond au téléphone dans un arabe classique appris à Damas et rien dans son attitude, si ce n’est son accent et ses yeux bleus, ne trahit son origine hollandaise. Cette musulmane convertie depuis presque quarante ans s’appelait, dans une autre vie, Ansje. «Ma famille était chrétienne pratiquante: je lisais la Bible, j’allais à l’église», sourit-elle. A 16 ans, Ansje se cherche: sa quête durera douze ans. Elle veut «faire quelque chose de son bagage religieux». Et lit Platon, Socrate et le dalaï-lama: «On retrouve les mêmes valeurs dans toutes les religions.» C’est à 28 ans, grâce à un ouvrage traitant de l’islam, qu’elle trouve sa réponse. «J’ai été touchée par la vérité dans mon être le plus profond.» Latifa sourit, murmure: «Le Coran dit: Dieu guide celui qui veut être guidé. Allah m’a donné la foi, qui est une grâce.»
Une nuit de novembre, dans le vent et le froid d’Amsterdam, inspirée par sa lecture, Ansje part méditer dans un centre inspiré de l’islam. Puis c’est le coup de foudre. Alors qu’elle passe des vacances en Espagne, dans une famille amie, elle rencontre son mari. Une an après, elle décide de l’épouser. Et de se convertir. «C’était une décision plutôt rationnelle. J’ai pensé que pratiquer deux religions différentes au sein du même couple amènerait des disputes sur la forme, en oubliant l’essentiel.» Ansje devenue Latifa balaie les soupçons de suprématie masculine d’une phrase: «Le Coran interdit aux hommes de forcer leurs femmes. Il ne leur demande qu’une chose: épouser une croyante monothéiste. Beaucoup de musulmans ne connaissent pas bien leur propre religion.»
Elle dit puiser dans l’islam sa sérénité et sa joie depuis quarante ans, d’abord aux côtés de son mari, aujourd’hui près de ses deux fils et de ses quatre petits-enfants. «Quand j’entends les préjugés, j’ai envie de dire: faites la différence entre la tradition et la spiritualité musulmanes! L’une peut étouffer, elle n’est pas islamique mais culturelle. L’autre n’est que grâce et épanouissement.»
Converties à l’islam
Converties à l’islam/2
Converties à l’islam/3