Jésus, fils d’une féministe?

Vue de l'Eglise du Saint Sépulcre à Jérusalem. Photo: IStock archives

Il était une fois la douce Marie, la sainte Vierge, mère du Christ… oui, mais pas seulement. Il était une fois, surtout, une vraie féministe et une mère juive obstinée sans laquelle Jésus, qui à trente ans n’avait pas encore fait grand chose de sa vie, ne serait jamais devenu le Christ. 

Loin des icônes qui, depuis des siècles, dépeignent Marie comme une femme retirée et discrète, Marek Halter, auteur du célèbrissime «La mémoire d’Abraham», bouleverse l’image d’Epinal. Rencontré dernièrement à Genève, l’écrivain, venu donner une conférence sur la place des femmes dans le monothéisme, métamorphose la Vierge.

Son livre, «Marie», paru l’an dernier, décrit une femme passionnée et forte, qui pousse son fils sur le devant de la scène… bien malgré lui. «Comme toute mère juive, elle croit que son fils a un destin extraordinaire» sourit Marek Halter derrière sa barbe de prophète. A la lumière de son interprétation novatrice, la force de caractère de Marie devient évidente. Pour Marek Halter c’est bien elle, et non Dieu, qui aurait décidé de faire naître Jésus sans père. Elle se libère ainsi de l’influence patriarcale d’un mari. Plus tard, son rôle est éminemment politique. «Imaginez. La Judée, à son époque, est occupée par les Romains. Les juifs sont écrasés par l’envahisseur. Marie, qui vit en Galilée, comprend qu’il faut à son peuple un libérateur.» C’est donc elle qui propulse Jésus sur le devant de la scène.

«Relisez le passage des noces de Canaan. Lors du banquet, alors que les convives manquent de boisson, Marie veut prouver les capacités de son fils. Jésus lui dit: femme, mon heure n’est pas encore venue… mais Marie ne l’écoute pas. Et elle force Jésus à transformer de l’eau en vin de très grande qualité. Or même si, à l’époque, de nombreux rabbins faisaient des miracles, personne ne réussissait à en faire de cette envergure. Jésus est donc devenu célèbre, et cette aura est rapidement devenue problématique pour les Romains. A leurs yeux, il était un révolutionnaire et une menace pour leur autorité.»

Un roman blasphématoire ou novateur? «Mon ami le cardinal Fustiger m’avait demandé de relire mon livre avant parution. Il craignait que je raconte des bêtises, mais il a été déçu en bien» sourit Marek Halter.

Des femmes puissantes
Le prolifique écrivain n’en est pas à son coup d’essai: Marie est la quatrième figure biblique qu’il dépeint sous des traits originaux et totalement différents de ce dont on a l’habitude. Il y a eu Sarah, la femme d’Abraham. C’est elle qui aurait eu l’intuition du monothéisme. Tsippora, l’épouse noire et non-juive de Moïse, aurait poussé Moïse à libérer son peuple et l’aurait activement aidé dans toutes ses initiatives. Puis Lilah, sœur d’Ezra, une figure du judaïsme qui décide d’interdire les mariages exogamiques pour préserver la pureté du judaïsme. Elle se serait activement opposée aux mesures religieuses prises par son frère.

Marek Halter décrit donc des femmes puissantes, engagées – des révolutionnaires. «Notre culture machiste oublie totalement le rôle des femmes dans toutes les révélations bibliques», affirme-t-il, scandalisé. «Or, sans sa femme, l’homme n’est rien… relisez la Bible. On y voit clairement que les épouses des grands personnages, comme tant d’autres, ont eu une position cruciale. Mais elles ont été totalement occultées». Entendez, par la première traduction de la Bible… vers le grec.

La femme a été crée à partir de la côte de l’homme, endormi… C’est bien aux Grecs que nous devons cette phrase, inscrite dans la Genèse. Or, à en croire Marek Halter, il fallait lire «à côté» de l’homme et non à partir de sa côte. Une erreur – ou l’œuvre d’un traducteur mal intentionné – qui a contribué à justifier religieusement une hiérarchie des sexes pendant des siècles.

C’est Khadidja, la riche et influente première épouse du prophète Mahomet, qui fera l’objet de son prochain roman. L’anticonformiste conteur n’a donc pas ni de nous faire relire les écrits religieux à la lumière de rebelles matriarches. Et de donner un souffle neuf à l’histoire religieuse. Merci, Marek!