Chrétiens d’Irak, récit d’un chemin de croix

Photo: IStock archives

Armé de sa foi et de son courage, l’archevêque de Bagdad raconte le calvaire des chrétiens en terre irakienne. Une communauté à l’histoire extraordinaire qui disparaît dans l’indifférence générale.

Voici un homme dont l’existence redonne tout son sens au mot grec «témoignage»: le martyre. Car Monseigneur Sleiman, archevêque de l’Eglise latine de Bagdad, souffre avec la communauté chrétienne d’Irak depuis son arrivée dans le pays en 2001. Malgré les menaces de mort, les horreurs, l’impuissance, le religieux refuse en effet d’abandonner sa mission. Ce Libanais d’origine s’est fait le porte-parole des meurtris qu’il tente de soutenir dans la capitale irakienne ravagée. Il était récemment à Saint-Maurice, à l’occasion de rencontres organisées par l’association Nicolas et Dorothée de Flue. Témoignage d’un résistant qui n’a que son immense foi pour toute arme. Prêt à soulever des montagnes pour briser l’indifférence criminelle qui entoure l’agonie silencieuse d’une des plus anciennes communautés chrétiennes au monde.

Quelle est la situation des chrétiens en Irak?
Très précaire. Dans les pires des cas – qui ne sont pas rares – les chrétiens sont persécutés par les fondamentalistes. Ils doivent se convertir à l’islam ou accepter le statut de dhimmi (voir encadré). Sinon c’est la mort ou l’exil. A Mossoul par exemple, il y avait de très anciennes églises et une forte présence chrétienne. L’enlèvement de l’évêque chaldéen, puis l’assassinat de deux prêtres ont fait fuir tout le monde. Dans certains cas les chrétiens sont tolérés par les musulmans. Ils subissent cependant une forte pression pour se conformer aux us et coutumes islamiques. Il existe encore des îlots de coexistence interconfessionnelle: parfois, les musulmans viennent à des festivités chrétiennes ou vice-versa. Mais cette coexistence qui prévalait jusqu’à la chute du régime devient très fragile. Enfin plus au nord (Kurdistan), les chrétiens ont une certaine liberté, mais peinent à s’intégrer. Votre livre s’appelle «Dans le piège irakien».

De quel piège parlez-vous?
L’Irak tout entier est prisonnier. Du tribalisme qui nie aux individus toute liberté personnelle – incompatible avec la démocratie. Du confessionnalisme, qui divise la société en groupes religieux – incompatible avec l’unité nationale. Du fondamentalisme religieux – incompatible avec le dialogue et la paix. Quant aux sunnites et aux chiites, pris au piège de la violence de représailles perpétuelles, ils ne laissent aucune place au pardon.

Comment les chrétiens pourraient-ils continuer à vivre en Irak?
Certains partis politiques chrétiens prônant l’isolationnisme ont proposé que tous les chrétiens se regroupent dans la province de Ninive pour créer une enclave autonome. Ce serait une catastrophe. Un vrai ghetto dans lequel il n’y a ni eau courante ni écoles. Les chrétiens ne sont pas faits pour vivre isolés mais avec autrui, ouverts aux autres!

La culture américaine est chrétienne. Cela influence-t-il les relations entre Irakiens?
Les chrétiens Irakiens sont traités de Croisés par les fanatiques musulmans, pour qui l’Amérique est chrétienne avant tout – puisqu’il n’y a pas de séparation entre Etat et religion en Islam. Et la lune de miel entre chrétiens irakiens et Américains, pour qui les chrétiens sont avant tout des Arabes, a été très courte…

Qu’attendez-vous des Occidentaux?
Nous avons besoin de leur aide dans le développement économique et social, et le maintien de la paix. Et j’espère qu’ils pousseront leurs gouvernements à agir. Il ne faut pas que les Etats-Unis décident seuls de l’issue de cette histoire. Car si cela se finit comme le Vietnam, ce sera un désastre pour le monde libre.

Comment les chrétiens voient-ils leur avenir ?
Surtout, hors de l’Irak! Contrairement aux musulmans qui veulent retourner chez eux, les chrétiens ne cherchent qu’à oublier une patrie à laquelle ils n’ont plus le sentiment d’appartenir. Ils perdent le sens de leur ancienne et extraordinaire mission sur ces terres, car ils vivent une injustice profonde. Mais leur présence est un authentique sacrement. Au contraire des sunnites et des chiites, qui luttent pour le pouvoir, ils subissent une situation qu’ils n’ont provoquée d’aucune manière. Dans ce sens, ce sont des martyrs. Les souffrances de cette communauté ont une signification très profonde, elles participent à la souffrance d’autrui. Nombre de vos amis et collègues ont été tués, vous avez été menacé.

Avez-vous peur d’être assassiné?
Qui n’aurait pas peur, plongé tous les jours dans une telle violence? Je ne suis pas surhumain. Mais le plus grand de tous les pièges de l’Irak, c’est la peur. Ce poison qui empêche les chrétiens de jouer un rôle politique et spirituel probablement capital. Alors je lutte. Je ne suis pas seul: la présence de Dieu dans la prière, dans les actions quotidiennes, me permet de trouver une certaine paix. Car seule la grâce divine permet à l’être humain de transcender la peur de la mort.

Chrétiens d’Irak, récit d’un chemin de croix