« La parole est ma seule arme »

Photo: IStock archives

Juif laïc épris de dialogue, l’écrivain et humaniste Marek Halter nous parle du conflit israélo-palestinien. Et de la judéité, qui est au coeur de sa réflexion.

Derrière sa barbe de prophète, l’écrivain qui a parcouru des milliers de kilomètres pour fuir la haine et fait mille rencontres pour essayer de la tuer, cache un sourire un peu bourru. Marek Halter est imposant: imposant par son histoire – il porte dans sa plume et dans son être la mémoire du peuple juif, de Varsovie à Jérusalem et de Moscou à Paris. Imposant par son message, aussi. Car le triste vingtième siècle a façonné, malgré les souffrances, un profond désir de dialogue chez ce fervent défenseur des droits de l’homme qui disait, en ami, à Arafat: «Reconnais mes souffrances. Je pourrai ainsi,au nom de la solidarité universelle, compatir aussi aux tiennes.»

Etre juif, pour vous, c’est quoi?
C’est faire partie d’un peuple qui s’identifie à une histoire et à des langues spécifiques. Je distingue cette identité de celle du fait d’être Israélien, citoyen d’Israël, à laquelle quiconque peut prétendre, peu importe sa confession. Il y a enfin l’israélite, celui qui s’identifie au judaïsme et pratique cette religion. Moi, je suis juif. Laïc.

Le peuple juif n’est donc pas une ethnie à part?
Les deux tiers des ashkénazes (n.d.l.r.: juifs européens) sont d’origine turkmène et la moitié au moins des séfarades sont d’origine berbère. Conversions et mélanges sont légion. Le «sang juif» n’existe donc pas, n’en déplaise aux antisémites.

Cet antisémitisme a bouleversé votre existence en 1940. En 2009, où en est-on?
Il faut plus de soixante ans pour changer des pulsions humaines. Mais la situation s’améliore – même en Pologne, où la persécution a été terrible. L’histoire, la culture, le souvenir de la Shoah nous préservent des formes les plus agressives de cette haine. Je suis heureux de dire que nulle part en Europe des pogroms pourraient encore avoir lieu.

Ne craignez-vous pas que l’Holocauste que vous avez subi se résume bientôt à quelques lignes dans un livre d’histoire?
Ce qui me chagrine par-dessus tout, c’est que l’humain n’ait pas tiré les leçons de ce sombre épisode. Peut-être lui faudra-t-il des centaines d’années, comme nous l’a prouvé le génocide rwandais, pour apprendre. Mais je refuse de désespérer. …

Même quand vous observez le sempiternel conflit israélo-palestinien?
Vous dites sempiternel parce que pour vous, pour moi, soixante ans, c’est une vie. N’oubliez pas que pour les manuels scolaires de demain, ces soixante ans seront résumés en quatre lignes… et puis, Hérodote disait: en temps de guerre, les parents enterrent leurs enfants. Je crois qu’ils sont tous fatigués de devoir le faire… Mais la religion a encore empiré la situation… Sadate (n.d.l.r.: ancien président égyptien) disait: on ne peut couper Dieu en deux, mais on peut partager la terre. Et ce conflit, à l’origine, c’est un problème territorial, rien d’autre. Lui donner une dimension irrationnelle, c’est le rendre quasi insoluble. Rappelez vous, les accords d’Oslo sont le fruit de groupes laïcs qui avaient pu trouver un compromis. Aujourd’hui, les généraux sont dans la rue et les rabbins au pouvoir. Absurde, et malsain pour Israël! Moi, je veux la paix: ce n’est pas de ma faute si Dieu existe…

Ce Dieu, que représente-t-Il pour vous?
La justice. Avant Abraham, les croyants étaient bénis des dieux selon la taille et la beauté de leurs idoles, ce qui privilé- giait les plus riches. Face à un Dieu abstrait, unique pour tous, ces inégalités cessent.

Sur terre, elles sont loin d’être abolies. Accords, négociations, intifadas… après des années de conflit, toujours pas d’Etat palestinien. Pourquoi?
Parce que les Palestiniens ont commis deux erreurs. D’abord, ils ont toujours gardé l’espoir que l’Etat d’Israël disparaîtrait un jour. Voyez les leaders du Hamas qui ont proposé à Israël une trêve de cent ans. Généreuse offre! Ils espèrent en fait que comme le royaume chrétien de Jérusalem, Israël ne durera qu’un siècle. Et puis, Arafat aurait dû suivre l’exemple génial de Ben Gourion qui a proclamé unilatéralement l’Etat d’Israël à peine avait-il quelques kilomètres carrés de terre à disposition. Mais le leadership palestinien espère avoir à l’avenir plus de terrain sur lequel établir un Etat. La tragédie, c’est qu’il en obtiendra au contraire toujours moins.

Vous avez été le premier juif pro-israélien à discuter avec Yasser Arafat, en 1968, vous avez parlé au leadership du Hamas… Aucune rencontre ne vous rebute?
La parole, c’est ma force, ma seule arme. Celui qui accepte de la partager avec moi ne peut plus tricher ou feinter s’il est un tant soit peu sincère. Je parle à quiconque m’ouvre sa porte. J’aurais même accepté de parler avec Adolf Hitler… mais il ne m’en a pas laissé l’occasion.