L’invincible témoignage des chrétiens d’Irak

linvincible-temoignage-des-chretiens-dirakjpg_page1Le frère Amir Jaje connaissait bien les cinquante et un catholiques massacrés en pleine messe par Al-Qaïda à Bagdad en octobre dernier. Il raconte la foi de sa communauté, en cette veille de la Nativité.

Lorsqu’il est entré dans l’église, frère Amir a pleuré. Entre les bancs, autour de l’autel, derrière la sacristie, ce ne sont que cris, sang et mort. En cette soirée du 31 octobre 2010 AlQaïda vient de tuer en pleine messe, dans la cathédrale Notre-Dame du Perpétuel Secours à Bagdad, cinquante et un chrétiens catholiques, dont deux prêtres. «Ce massacre a détruit la vie de familles entières et tout notre avenir. Deux amis chers ont perdu la vie, des jeunes prêtres dynamiques qui faisaient la joie de notre communauté. Tout le monde les aimait, ils avaient des projets avec nos voisins musulmans… Nous avions passé la soirée ensemble la veille du massacre» dit-il d’une voix tremblante.

Une cible de choix
Frère Amir pourrait connaître le même sort: son habit dominicain le désigne clairement comme un religieux. Une cible de choix pour Al-Qaïda qui tue les ecclésiastiques pour mieux encore terroriser les fidèles… «Ça m’est complètement égal, avoue-t-il au téléphone. Je ne pense qu’aux souffrances des survivants, à ceux qui sont blessés, qui ont perdu quelqu’un qu’ils aimaient. Intérieurement, ils sont morts aussi: leur âme est brisée. Et moi je n’ai, pour les consoler, que ma prière…» Et l’aide, dès les premières heures, des voisins et amis chrétiens ou musulmans qui accourent au chevet des victimes. «Les Européens confondent souvent musulmans et terroristes. Ils ont tort! Ceux qui commettent ces crimes sont des fanatiques, des gens malades: ils n’ont plus rien à voir avec l’islam» souligne-t-il.

Auraient-ils en revanche des liens avec le gouvernement? A la lecture d’une lettre de deux religieuses de Bagdad, sœur Alice et sœur Martine, on peut se le demander: «Tout s’est terminé vers 10 h 30-11 heures du soir (soit onze heures de calvaire!) cela a duré très longtemps et nous pensons que beaucoup de personnes sont mortes suite à l’hémorragie de leurs blessures.» Et de se demander pourquoi armée et secours ont mis si longtemps à arriver. Pour frère Amir, tout est possible. «Il faut absolument qu’une enquête internationale soit menée pour comprendre réellement qui sont les responsables».

Un amour invincible
Aidée ou non, la nébuleuse fanatique a une fois de plus atteint son but: faire parler d’elle dans le monde entier et éliminer peu à peu les chrétiens du paysage, par la mort ou par l’exil. «Depuis le massacre, plus personne n’ose sortir de chez soi, si ce n’est pour aller chercher à manger. Les gens ne sont même plus en sécurité chez eux: certains commandos attaquent les maisons.» Ce Dominicain irakien qui travaille dans le couvent de Bagdad depuis 2003 se désole de l’«hémorragie» de l’exil. «Mais ces conditions de vie sont infernales. Et moi, je préfère un chrétien vivant hors d’Irak, à un chrétien mort dans sa patrie».

Frère Amir a d’ailleurs organisé le départ de trente-six rescapés et de vingt-deux de leurs proches pour Paris. Ils seront suivis par d’autres compatriotes chrétiens, prêts à tout quitter pour s’en sortir. C’est avec eux que le frère Amir célébrera Noël: par une messe sobre, tout en prières avec ceux qui sont restés là- bas, là-bas où l’on meurt.

Là- bas où lui aussi risque sa vie à tout moment… mais lui ne «quittera jamais le pays». Il veut continuer à soutenir les familles qui «apportent leur témoignage en tant que premiers chrétiens au monde. Après tout, le berceau de cet héritage, c’est l’Irak!» Ces rares familles résolues à rester chez elles sont soutenues par les ecclésiastiques, comme l’écrivent les sœurs Martine et Alice dans leur lettre: «Il y a un sursaut de foi et de détermination surtout chez les prêtres restant à Bagdad qui disent: ils veulent nous chasser et nous exterminer, mais nous sommes là et nous resterons.» En cette nuit de Noël, les chrétiens de Bagdad se réuniront pour prier.

C’est la cathédrale de Notre-Dame du Perpétuel Secours, où cinquante et un innocents ont été massacrés, qu’ils ont choisie pour célébrer la naissance du Christ. Comme pour réaffirmer à la suite de Saint-Paul, dans l’Epître aux Romains (8, 31-38): «Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie (…) ni avenir,ni puissances (…) ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur».

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