Le Norvégien Mads Gilbert a sauvé des dizaines de vies
La prison s’est refermée. Suite au soulèvement contre Hosni Moubarak, le terminal de Rafah avec l’Egypte, qui permettait d’acheminer vivres et médicaments dans Gaza a été bouclé. Hermétiquement. Un piège terrible qu’a vécu, de l’intérieur, le docteur Mads Gilbert.
Cet homme chaleureux, originaire de Tromso, une petite ville à l’extrême nord de la Norvège, a eu le terrible privilège d’être avec son collè- gue Erik Fosse le seul médecin occidental autorisé à entrer dans la bande de Gaza, juste avant que commence l’opération «Plomb durci». Mandaté par la NORWAC, une mission de solidarité financée par le Gouvernement norvégien, ce spécialiste de la médecine d’urgence arrive le 28 décembre 2008 à l’hôpital de Shifa pour enseigner, conseiller, coacher les équipes médicales gazaouites qui travaillent dans un dénuement quasi total. Quelques jours plus tard commence un enfer dont le médecin n’est toujours pas sorti: l’opération «Plomb durci», qui débute par une pluie de bombes (cent en quatre minutes), tuera 1314 Palestiniens et dont Shimon Peres se targuera qu’elle a rempli 90% de ses objectifs.
Face au désastre, le médecin décide de faire sienne une phrase d’Albert Einstein: «Ceux qui ont le privilège de savoir ont le devoir d’agir». Alors, ce Norvégien qui vient d’une famille «très engagée» ampute, soigne, soulage des flots de blessés pendant trois semaines, jour et nuit, à coups de minutes de sommeil comptées et d’innombrables cigarettes, entouré par une équipe médicale palestinienne «brillante, il faut vraiment le dire». Une équipe qui doit décider d’un coup d’œil qui peut vivre et qui mourra: les urgences de l’hôpital de Shifa sont submergées et les blessures parfois si graves que personne ne peut plus rien faire.
Mads Gilbert avait averti en début de la conférence qu’il a donnée mercredi soir à Genève: «Cette soirée sera douloureuse».Il n’épargne en effet rien à son public: ni les photos des enfants mourants, ni les récits poignants, ni même le bruit des drones israéliens dont il a enregistré le ronronnement mortel entre deux opérations. Heureusement, son récit porte un espoir aussi: celui de croire en la vie qui continue dans un territoire dévasté, celui qu’un jour les portes de Gaza soient ouvertes.
En attendant, il parcourt l’Europe pour parler de son expérience, quand il n’est pas à l’hôpital de Shifa où travaillent encore, inlassablement, tous ses collègues. Un hôpital dont Mads Gilbert n’est finalement jamais sorti, prisonnier lui aussi de ce coin de terre où le sang ne finit pas de couler.