« Le Saint-Siège ne peut plus fermer les yeux »

le-saint-siegejpg_page1Le directeur du quotidien «La Repubblica» explique pourquoi le Vatican a attendu deux ans pour condamner la conduite de Silvio Berlusconi.

«Bunga bunga», soit jeux érotiques enseignés par le colonel Kadhafi, relations sexuelles avec mineures, déclarations sexistes… autant d’éléments qui dégoûtent ou indignent plus de la moitié des Italiens qui s’affirment catholiques pratiquants, des croyants étonnés par la complaisance apparente du Vatican envers Silvio Berlusconi. Ezio Mauro, qui dirige le principal journal d’opposition en Italie, nous explique les raisons du mutisme qui a prévalu jusqu’à maintenant.

On a l’impression que Le Vatican, par son silence, se rend complice de Silvio Berlusconi. Comment l’expliquer?
L’Eglise a choisi son camp politique lorsque le pape Jean-Paul II a nommé Camillo Ruini cardinal, le 28 juin 1991. Ce dernier a conclu un marché avec le pouvoir: en échange des faveurs du Saint-Siège, le gouvernement Berlusconi doit défendre la position du Vatican sur des objets à caractère éthique comme la contraception et l’avortement et la définition du moment de la vie ou de la mort. Pendant un moment, tout le monde y a trouvé son compte. Jusqu’à ce qu’en avril 2009, l’affaire Noemi Letizia, une jeune fille avec laquelle Berlusconi aurait eu des relations intimes, mette le feu aux poudres… Les catholiques italiens ont été scandalisés. D’un jour à l’autre, le journal «L’Avvenire» qui appartient au Vatican a été submergé de lettres de protestation venues de tout le pays, qui exigeaient que le journal condamne l’attitude du premier ministre. Lorsque la rédaction s’est en effet prononcée, les mesures de rétorsion ne se sont pas faites attendre. Quelques jours plus tard, «Il Giornale», un quotidien appartenant au clan Berlusconi, a publié en première page un document de justice accusant Dino Boffo, l’évêque qui dirige «L’Avvenire», d’être homosexuel et d’avoir harcelé une femme. En réalité, ce rapport était un faux, écrit selon le plus pur style des services secrets. Le rédacteur en chef de «Il Giornale» a donc été condamné par le Conseil italien de la presse à dix-huit mois de suspension. Mais Dino Boffo a choisi de démissionner, même s’il a reçu énormément de soutien. Résultat, depuis cette affaire, de crainte de repré- sailles, Le Vatican ferme les yeux, au risque de créer une fracture avec les catholiques de ce pays, dégoûtés par l’attitude de Berlusconi.

Votre premier ministre comparaîtra le 6 avril devant le Tribunal de Milan pour relations sexuelles tarifées avec une mineure. Pourtant, il affirme être en mesure de gouverner jusqu’en 2013. Que peut-on attendre au juste de ce procès?
Il faut d’abord être clair sur un point: mettre Silvio Berlusconi sur le banc des accusés, c’est affirmer – enfin! – que la loi est égale pour tous… mais cela ne garantit aucunement qu’il sera jugé: il a plus d’un tour dans son sac. Ceci dit, ce procès permettra enfin d’en venir aux faits, et rien qu’aux faits. Vous savez, cela fait longtemps que notre premier ministre, qui détient la majorité des médias italiens, peut se permettre d’inventer tout et n’importe quoi pour maintenir son électorat. Quand je dis tout et n’importe quoi, je n’exagère pas: cela fait deux mois que nous publions chaque jour une liste de dix nouveaux mensonges proférés par Silvio Berlusconi, qui n’a jamais osé d’ailleurs nous répondre publiquement, si ce n’est pour essayer de dénigrer «La Repubblica». Dans quelle autre démocratie européenne est-ce possible qu’un chef d’Etat mente à ce point? Je ne vois pas comment le Vatican pourrait continuer à se terrer dans le silence. Cette farce énorme doit être dénoncée.

« Le Saint Siège ne peut plus fermer les yeux »