Les médias tunisiens perplexes face à leur liberté

Photo: IStock archives

La visite de deux radios et d’une télévision de service public, entre Tunis et Monastir, révèle les tâtonnements de professionnels devenus libres, donc responsables.

Dans la capitale comme en province, les journalistes tunisiens cherchent à tâtons les limites et les horizons de leur nouvelle liberté. Que signifie assurer une «couverture équitable» aux candidats à la présidence? Comment répondre aux attentes du public et que sont-elles exactement, ces attentes? Et qui assume quelles responsabilités maintenant qu’il n’y a plus aucun pouvoir central pour dicter leur conduite aux journalistes? Les formations proposées par divers organismes internationaux aux journalistes tunisiens sont si nombreuses que les rédactions se sont retrouvées, un temps, en sous-effectif. Mais il faudra bien plus d’un séminaire de quelques jours pour que les médias du pays acquièrent la maîtrise de cette liberté qu’ils ont tant appelée de leurs vœux. En attendant, les rédactions naviguent à vue pour reconquérir la confiance de leurs lecteurs et de leurs auditeurs.

A Tunis, Sonia Attar, la Rédactrice en chef de «Radio Tunis chaîne internationale» avoue que «pendant la campagne, nos journalistes ont œuvré quasi sept jours sur sept pour couvrir les événements, et ce avec des moyens plutôt faibles». Cette femme dynamique qui travaille pour la radio depuis plusieurs années dit qu’après la révolution, «nous sommes obligés d’assumer : nous existons, il faut qu’on continue à faire notre travail, même si cette situation est assez déconcertante». Même son de cloche à la télévision de service public. Ce gigantesque bâtiment construit à côté du luxueux hôtel «Sheraton» surplombe Tunis. Pour y accéder, il faut montrer patte blanche: entrer dans l’enceinte sous l’oeil de gardes armés, déposer une pièce d’identité à la réception puis faire passer sacs et vestes au détecteur de métaux. Mais sous ses apparences de forteresse, la télévision nationale est en pleine mutation. Sa rédactrice en chef Saha Moufida (tiens, encore une femme!), qui nous reçoit en coup de vent dans son bureau, précise que depuis la révolution, «nous avons constitué un comité de rédaction qui réunit un maximum de monde pour avoir plusieurs avis».

Cinquante-cinq journalistes et dix reportages par jour au minimum, la tâche est lourde… mais pas impossible. «Cette révolution est une extraordinaire opportunité pour nous tous», se réjouit-elle. Et la venue de collègues étrangers l’occasion de prouver que son média est apte à relever les défis d’une situation inédite. Cap sur Monastir. Cette ville balnéaire, située à deux heures de route de Tunis, est prise d’assaut par les touristes à la saison estivale (encore que la révolution n’a pas arrangé les a!aires). C’est là que nous attend Jamil Ben Ali, le nouveau directeur de Radio Monastir, qui nous accueille avec force gâteaux au miel et thés à la menthe dans son bureau où s’alignent les portraits des anciens directeurs. Avant de diriger ce média dont les équipements techniques ont de quoi faire rougir les radios de la capitale, il était «pigiste». Ce qui lui a valu une si brillante promotion, c’est son «indépendance d’esprit: ils voulaient quelqu’un qui ne soit pas compromis avec le pouvoir», précise-t-il. Spontané, Jamil Ben Ali doit encore s’habituer à son costard-cravate de nouveau directeur. Interrogé sur le taux d’audience de sa radio, il avoue n’en rien savoir.

Quant aux cadres de la radio auparavant proches de Ben Ali, on apprend qu’ils ont été seulement «suspendus» et reçoivent leur paye alors qu’ils ne travaillent plus. Rome ne s’est pas faite en un jour…

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