Ce conseiller suisse qui veut panser les plaies de l’Egypte

Pour le Suisse Alexandre Stärker, "on peut faire des compromis avec la démocratie". Ce qui n'aurait peut-être pas été du goût des manifestants de la place Tahrir (archives: IStock)

ce-conseillerjpg_page1Le Suisse Alexandre Stärker s’est donné pour tâche de faire passer l’Egypte du modèle «pharaonique» à un Etat «décentralisé et démocratique». Conseiller en gouvernance du président de la Constituante égyptienne Amr Mousa, introduit dans les plus hautes sphères du pouvoir, il pose un diagnostic sévère sur les problèmes du pays.

Le président islamiste déchu Mohamed Morsi «a fait preuve d’un népotisme au dernier stade. Le général al-Sissi lui a dit qu’il se mettait en danger, lui et toute l’Egypte, mais il a été complètement fou, il n’a rien écouté». Alexandre Stärker a beau recevoir dans un bel appartement genevois avec vue sur le jet d’eau, on est transporté au Caire à peine commence-t-il à parler.

Né à Lausanne en 1946, il a passé la grande majorité de sa vie en Egypte après que son père, un entrepreneur, a été appelé à y travailler par le roi. Très proche du pouvoir, il a fait la connaissance du roi Farouk, puis de Gamal Abdel Nasser, d’Anouar el-Sadate et de Hosni Moubarak. Agacé par les clichés circulant en Occident, Alexandre Stärker estime qu’«avant de parler de politique égyptienne, il faudrait comprendre un peu ce qu’affronte ce pays!» Lui se décrit comme «un médecin qui pose un diagnostic» sur les maux de l’Egypte.

Après avoir passé des années à restructurer des banques, il s’est découvert «un dada: la restructuration de l’Etat égyptien, centralisé et autoritaire, qui doit devenir décentralisé et démocratique. C’est crucial», affirme-t-il.

Enjeux majeurs

Outre la structure de l’Etat, il identifie trois enjeux fondamentaux. Premier enjeu: le territoire. «L’Egypte est immense, mais sa surface habitable est plus petite que la Suisse. Il faut donc trouver des moyens techniques pour gérer au mieux cette géographie très particulière.» Deuxième enjeu: la démographie. Selon ses calculs, 5500 Egyptiens naissent chaque jour. «En 1869, l’année de la construction du canal de Suez, l’Egypte comptait cinq millions d’habitants. Aujourd’hui, ils sont 85 millions! Vous imaginez ce que cela représente en termes d’emplois, de paires de chaussures, de nourriture?», s’exclame-t-il.

Troisième enjeu: l’intrusion étrangère, physique ou symbolique. Elle existe «depuis Alexandre le Grand», souligne Alexandre Stärker qui fustige l’attitude occidentale visant à croire «qu’il suffit de la religion et d’un homme fort pour tenir tranquilles les Arabes, ces analphabètes». Et de mettre en garde: «L’Europe devrait faire attention. Si l’Egypte continue à aller si mal, c’est là que les Egyptiens chercheront un avenir meilleur. Et le problème de l’Egypte deviendra le problème des Européens.» Ce qu’il faut pour éviter ce scénario? «Une aide de cent milliards qui serait utilisée à améliorer le quotidien des Egyptiens. Après tout, l’UE aide la Grèce, qui est bien moins importante stratégiquement!»

Il milite également pour une période de transition de quatre ans sans élections, histoire d’avoir le temps de restructurer un minimum le pays. «Si on organise des élections pour février, ce sera la débâcle.» Alexandre Stärker finit par lâcher: «A la rigueur, on peut faire des compromis sur la démocratie. Avant de refaire le toit d’une maison, il faut vérifier ses bases. Pour l’Egypte, cela signifie en finir avec l’esprit pharaonique.»

Le pouvoir de l’ombre

Ce difficile exercice commence par l’élaboration de la Constitution lors de séances auxquelles assiste Alexandre Stärker. «Notre objectif, c’est de donner une référence au législateur, même si le processus de réforme prendra plusieurs années.» La semaine prochaine, adieu jet d’eau et frimas genevois: Alexandre Stärker retourne au Caire. Prochaine mission: convaincre le général al-Sissi de renoncer à la présidence de l’Egypte. «Il y a toutes les chances qu’il y accède. Ce serait une catastrophe. Tout le monde s’opposerait à lui et il aurait l’image d’un général Pinochet. Il aurait nettement plus de liberté et de pouvoir s’il restait en retrait», conclut-il.