« L’avenir du journalisme, c’est d’expliquer le monde »

Xavier Colin (copyright RTS/Anne Kearney)

Xavier Colin prend sa retraite après avoir présenté 245 éditions de Geopolitis à la RTS. Il prône un journalisme pédagogique et de service, apte à répondre aux interrogations du grand public.

« Vous voulez ma nécro, c’est ça? » Même s’il craint un peu le passage à la retraite, Xavier Colin garde le sourire. Fort de milliers d’heures passées à vivre et décrypter l’actualité, il raconte anecdotes, histoires et souvenirs dans un flot enthousiaste, à peine lui pose-­t-­on une question. Sous un dehors calme, l’homme est un passionné: de France Soir où il fait ses premières armes à Geopolitis qui lui a permis de vivre ce «truc» qui le fait vibrer «comme un comédien sur les planches», Xavier Colin aura connu des guerres, des grands mariages, des élections et j’en passe.

Un quasi demi-­siècle de journalisme dont il garde des souvenirs forts. Comme en ce 11 septembre 2001 où il marque les téléspectateurs de sa présence continue à l’antenne pendant que brûlent les tours du World Trade Center, «un moment dramatique dans un désordre indescriptible, à la mesure du choc que nous éprouvions», dit­-il d’une voix posée. Xavier Colin fait partie des premiers journalistes à évoquer le nom d’Oussama ben Laden, alors inconnu du grand public. Il y a aussi les moments heureux, tels que la rencontre avec l’ancien président français François Mitterrand, «un sphinx», la dédicace d’une BD par Hergé – «j’adore la bande dessinée, j’étais au septième ciel» – ou l’union de Charles et Diana puis celle de Kate et William.

Ainsi, Xavier Colin quitte le métier le cœur heureux. Si l’on peut vraiment dire qu’il quitte le métier car dès novembre, il endossera la casquette de conférencier, si proche du métier de présentateur et de vulgarisateur qu’il affectionne. Il entamera aussi des voyages «sans précipitation», jouira des alpes valaisannes et… jouera du violon. «Je suis un musicien dans l’âme», glisse-­t-­il dans un sourire. Un musicien qui aura préféré le «lento con spirito» au «rapido furioso» dans les dernières portées de sa partition journalistique
EDITO: Vous avez été journaliste pendant quarante-quatre ans. Comment se dessine, selon vous, l’avenir de ce métier?
Xavier Colin: Il ne peut survivre s’il n’apporte pas une réelle plus-­value aux lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Il ne faut pas avoir peur d’expliquer le monde aux gens, de leur apporter des informations qu’ils ne trouvent nulle part ailleurs. Notre  savoir-­faire permet de donner un sens aux événements, je dirais même d’avoir des vertus pédagogiques, loin du contenu qu’on trouve parfois sur  Internet. Geopolitis, par exemple, est utilisé comme support par le Département de l’instruction publique pour expliquer l’actualité aux élèves. C’est ça, le sens du service public: offrir une prestation simple sans tomber dans le simplisme.

Vous aviez cette vision en tête lorsque vous avez créé Geopolitis il y a huit ans?  
Geopolitis est né parce que j’étais convaincu qu’il y avait un nouveau créneau à exploiter entre news brutes et magazine. Cette émission a été un laboratoire. A l’époque, personne ne complétait encore les infos données à la télévision par des documents, du texte et des photos sur le site Internet comme je l’ai fait en tandem avec un web éditeur. Un an ou deux après le début de l’émission, nous avons constaté que les jeunes passaient par le web et leurs téléphones portables pour regarder notre émission. Nous l’avons pris en compte et produisons la seule émission de la RTS qui est mise sur Internet avant même de passer à l’écran. Avec le temps, Geopolitis a gagné son public et 10 à 15% des auditeurs romands regardent l’émission selon les chiffres d’audience pour RTS1. Notre taux d’audience sur TV5 Monde avec laquelle nous coproduisons est, elle, de 2% alors que cette chaîne attire 215 millions de téléspectateurs dans 200 territoires ou pays: c’est énorme!

Le recours toujours plus intense aux réseaux sociaux a-t-il modifié votre approche?
Leur emprise nous a fait comprendre que c’est désormais notre public qui décide de la diffusion de Geopolitis. Lorsque la vidéo de notre émission sur le califat a été mise sur Youtube par un de nos téléspectateurs, elle y a comptabilisé 100 000 vues! Avec un impact pareil, on peut s’interroger: pour qui nous, journalistes, travaillons-­nous?

Votre carrière s’achève fin juin, qu’en retenez-vous?
Que j’ai eu beaucoup de chance. J’ai vécu des événements extraordinaires et assisté à une véritable révolution digitale. Lors de mon premier stage à France Soir, on utilisait encore la machine à écrire et le plomb pour imprimer le journal; je termine ma carrière en faisant de la télévision sur smartphone! J’ai aussi été très libre, car la RTS est une des dernières télévisions européennes qui permet encore de créer une émission ou un concept. Cet esprit d’innovation doit être préservé à tout prix.