L’aide aux Syriens, une garantie pour Israël

A quelques mètres du plateau du Golan occupé par Israël, des réfugiés syriens vivent sous les tentes dispensées par l'armée israélienne. Crédit: Aline Jaccottet

Depuis cinq ans, Israël fournit une aide humanitaire aux Syriens proches de sa frontière en échange du maintien de la tranquillité. Un accord mis à l’épreuve par les combats à Deraa

Derrière la clôture hermétiquement fermée, une terre aride, des troupeaux qui paissent, quelques maisons et, sur une route, une moto qui passe, écrasée par le soleil. Le silence des grands espaces ferait oublier que l’abîme syrien est là, en contrebas du point d’observation israélien de Hazaka, mais en un regard attentif, on aperçoit des tentes de réfugiés. Ici sont venus chercher abri quelques-unes des 270 000 personnes qui ont fui les combats opposant depuis le 9 juin les rebelles à l’armée syrienne dans Deraa. Une région à 60 kilomètres à l’est du plateau du Golan, territoire syrien occupé par Israël depuis la guerre des Six-Jours de 1967.

Pour gérer ses relations avec les voisins syriens, Israël a lancé en 2013 une opération particulière: celle du «Bon voisin». Soit un accord qui garantit «la tranquillité à la frontière contre une aide humanitaire conséquente et l’accès à nos hôpitaux», explique Marco Moreno, ancien lieutenant-colonel et architecte de ce projet sur lequel Israël a longtemps été discret.

Le bâton ou la carotte

L’idée commence à faire son chemin lorsque les militaires commencent à entrevoir la possibilité d’une guerre en Syrie. Marco Moreno et ses collègues pensent à promettre une assistance aux villageois syriens vivant le long de la frontière, opposés au régime, contre l’assurance du maintien de la sécurité de la zone. «A l’époque, on ne savait même pas dire «révolution» en arabe, mais on a demandé à un berger syrien de transmettre aux chefs de village qu’on voulait discuter», raconte-t-il.

La première rencontre a lieu le 23 décembre 2012. «On pouvait les aider, ou les combattre. Entre le bâton et la carotte, c’était à eux de choisir.» Les voisins acceptent et l’accord est «couronné de succès. En cinq ans, on n’a jamais eu aucun problème par ici. C’est d’autant plus appréciable que les Syriens disposent d’armes bien plus destructrices que des couteaux ou des cerfs-volants», affirme Marco Moreno.

Un double combat

Depuis 2013 et en vertu de l’accord, l’armée israélienne a fourni de l’aide à des milliers de réfugiés postés le long de la frontière et les hôpitaux israéliens de la région ont soigné 5000 blessés de guerre syriens. La moitié a été traitée à Nahariya, le centre médical de l’ouest de la Galilée. Le voyage de presse organisé par un centre de presse pro-israélien comporte une halte dans les couloirs de cet établissement où 40 Syriens sont actuellement soignés.

On imagine le choc des blessés syriens se découvrant, au réveil d’une opération, dans ce pays ennemi. «Au début, il y avait de l’appréhension des deux côtés», raconte Eyal Sela, en charge de l’unité de chirurgie maxillo-faciale dans cet établissement. L’homme a pris quelques minutes pour raconter le double combat qu’il mène: celui pour sauver ces blessés «qui sont mes patients, pas mes ennemis», et pour leur donner une autre image d’Israël. «Je fais ça pour l’avenir de mes enfants», dit-il. Eyal Sela parvient même à le faire avec une touche d’humour. «On a laissé le choix à un de mes patients syriens entre trois prothèses nasales. Il est reparti en Syrie avec un nez juif», lance-t-il, déridant une seconde l’atmosphère.

Une fois soignés, les patients du docteur Sela n’ont qu’une hâte: retourner chez eux, retrouver leur famille… retrouver leur combat, aussi. On n’aura aucune information à ce sujet, mais il est très probable que nombre d’entre eux sont des rebelles.

«Le seul endroit où je pouvais survivre»

En cinq ans, Eyal Sela est devenu connu auprès des Syriens, et les blessés que recueille l’armée israélienne à la frontière le demandent souvent. Car le chirurgien et son équipe font des miracles, redonnant visage humain à ces patients, pour la plupart des jeunes hommes visés à la tête par des snipers. On ose à peine regarder les photos qu’il fait défiler pour illustrer son propos. Est-ce même possible de survivre à pareilles blessures?

Oui, et Hani en est la preuve. Soigné depuis 2016 à Nahariya, ce Syrien originaire de la Ghouta a été visé par un tir à la tête alors qu’il tentait d’évacuer sa famille à l’approche des troupes du régime. Il arrive en Israël après des heures de calvaire, dont trois sur le dos d’un cheval. «C’était le seul endroit où j’avais une chance de survivre», affirme le jeune homme de 28 ans qui se force à sourire, derrière un épais bandage ne laissant apercevoir qu’un œil.

Pas de réfugiés syriens en Israël

L’aide israélienne est cependant clairement délimitée. Ainsi, même s’ils voulaient rester, les blessés n’en auraient pas le loisir: Israël n’accepte pas de réfugiés syriens sur son sol. «Nous sommes un trop petit pays», affirme l’artisan de l’accord «Bons voisins» Marco Moreno avant de se voir rappeler que le Liban, deux fois plus petit encore, en accueille plus d’un million. «Les aider sur leur sol, c’est à cela qu’on peut s’engager, et c’est tout», rétorque-t-il.

Accueillir des réfugiés syriens, c’est prendre le risque que s’y mêlent des groupes hostiles à Israël, sans compter les enjeux démographiques que cela entraînerait dans un pays qui tient à sa majorité juive. Sacré bémol au discours qu’il vient de tenir sur le «devoir moral» de porter secours aux civils syriens. Tant que les intérêts israéliens ne sont pas affectés, il n’est pas question non plus de défendre les villages rebelles le long de la frontière contre les avancées du régime de Bachar el-Assad.

Une incertitude terrible

Or, ce dernier ne cesse de gagner du terrain à tel point que le rétablissement de son pouvoir dans la zone frontalière avec Israël ne semble être qu’une question de semaines. C’est dire l’incertitude terrible du sort de Musa Abu Al-Bara’a, à moins d’un kilomètre du kibboutz où s’exprime Marco Moreno. Joint par téléphone, ce professeur de Damas, opposant au régime, croupit dans le camp de réfugiés d’Al Berka avec ses dix enfants depuis deux ans. «Nous savons maintenant qui sont nos vrais ennemis: l’Iran et le régime syrien. Si Israël nous ouvrait les portes, je serais le premier à passer», dit-il dans une voix où perce l’espoir.