Une parole pour se réapproprier l’avenir

A Tantour entre Jérusalem et Bethléem, soirée de dialogue entre juifs, chrétiens et musulmans. Crédit photo Aline Jaccottet

De nombreux groupes de dialogue réunissant juifs et musulmans existent en Israël. A travers le partage, ils imaginent un horizon malgré le conflit qui pèse sur leurs destins.

« Good evening… shalom… salaam alaikoum ! » Ambiance chaleureuse au monastère de Tantour, en face de Bethléem. Dans une salle dédiée aux conférences, on se serre la main, on sourit : presque dix ans que ce groupe réuni par l’Interfaith Encounter Association (voir le témoignage de Yehouda Stolov) se rencontre une fois par mois. Ce soir, trois chrétiennes européennes, quatre musulmans palestiniens et quatre juifs israéliens ont fait le déplacement. La discussion est chapeautée par Bob, un rabbin d’origine américaine, et Talab, un professeur de géologie palestinien, qui traduit vers l’arabe les échanges en anglais. Sur une table trônent boissons et victuailles, mais en cette période de Ramadan, personne n’y touchera avant que les musulmans puissent se sustenter.

Bob et Talab se relaient pour exposer les vues juive et musulmane sur le thème du jour – le rôle de la mère et du père dans l’éducation des enfants. Emaillée de récits personnels et de blagues, la discussion d’une heure et demie est menée en toute décontraction, avant de casser la croûte ensemble. Et d’évoquer les motifs pour lesquels on est là. Une participante israélienne raconte « la guerre à Gaza en 2014 lors de laquelle j’ai compris qu’il ne fallait plus compter sur les politiciens pour faire la paix ». Talab, le coordinateur palestinien, évoque pour sa part « une visite du camp de concentration de Dachau, lorsque j’étais en Allemagne en 1982. Lorsque j’ai vu de quoi l’homme était capable, j’ai résolu de construire un monde où l’on pourrait vivre en paix ».

Retrouver l’avenir

Généralement, les rencontres entre juifs et musulmans ont lieu en Israël même et avec des Arabes israéliens ou des résidents de Jérusalem comme interlocuteurs, pour des raisons pratiques – les Israéliens sont interdits d’entrée dans les TPO et parfois, il en va de même pour les Palestiniens en Israël – et symboliques, le dialogue étant parfois considéré comme un acte de traîtrise.

Cela étant, les motivations de ceux qui parviennent à dialoguer reposent toutes sur le désir de se réapproprier la capacité à imaginer l’avenir, hors d’un cadre politique jugé impuissant voire destructeur. Un avenir construit avec l’autre et non contre lui, puisqu’on ne peut faire sans lui, et un avenir. Cette réappropriation prend des formes différentes selon la manière dont on affronte la réalité du conflit. Certains font fi de l’asymétrie de la relation et des enjeux de pouvoir en se consacrant à la construction d’une amitié au nom de la foi. Comme la famille Froman, des colons de Tekoa, en Cisjordanie, qui entretiennent un dialogue de longue date avec des Palestiniens. Plusieurs initiatives de ce type ont lieu dans les territoires conquis par Israël en 1967. Elles partent de l’idée que la séparation entre populations est une erreur : ce n’est qu’en entretenant des bonnes relations entre voisins que la paix conclue au niveau politique pourra perdurer.

« Nous allons détruire ce fichu mur »

Cela, Ibrahim Abdul Hawa en est persuadé. Chantre du dialogue, ce Palestinien dont la famille est établie depuis des générations sur le Mont des Oliviers est une star de l’accueil. Le mur de sa maison est tapissé jusqu’au plafond des photos qui racontent ses innombrables périples : rencontres avec des présidents américains, octroi de la nationalité brésilienne, conseil à Yaser Arafat. Ibrahim Abdul Hawa est aussi grand copain avec la famille Froman qui a fondé la colonie de Tekoa. « Nous devons tous vivre ensemble comme nous enseigne l’islam : aime ton voisin comme toi-même. Un jour, les Froman et moi-même allons détruire ce fichu mur d’annexion », dit le vieil homme de quasi 80 ans avec émotion.

D’autres associations engagées dans le dialogue interreligieux choisissent, elles, de s’engager activement contre l’occupation des territoires palestiniens, au nom de leur foi. C’est le cas de Rabbis for Human Rights (Rabbins pour les droits de l’homme). L’organisation réunit depuis 1988 des leaders religieux juifs de toutes tendances qui se battent pour des droits égaux pour les Palestiniens, au nom de la parole biblique affirmant que chaque être humain est créé à l’image de Dieu. Depuis 2015, ces rabbins se sont associés à l’Interreligious Coordinating Council in Israel, fondé par le rabbin Ron Kronish en 1991, Il réunit une soixantaine d’organisations juives, musulmanes et chrétiennes dans l’optique de faire des enseignements des trois monothéismes une source de réconciliation. L’ICCI a notamment un programme de soutien aux victimes des violences commises par des colons.

Repas, séminaires et musique

Quant aux activités proposées par les groupes qui font du dialogue interreligieux, il y en a pour tous les goûts. Clubs de lecture, excursions dans Hébron où l’on présente les narratifs juif et musulman sur la ville, repas (celui de l’association Abrahamic Reunion pour la rupture du ramadan réunit chaque année plus de 200 personnes à Jérusalem), conférences, cours… On peut aussi rencontrer des professionnels d’autres confessions exerçant le même métier que soi, s’adonner à des séminaires de gestion de conflit ou partager une soirée avec d’autres familles.

On peut aussi faire de son art un pont vers la culture de l’autre, comme le chef d’orchestre israélien Daniel Barenboïm, fondateur avec le Palestinien Edward Saïd du West-Eastern Divan Orchestra qui réunit chaque année depuis 1999 des musiciens juifs et arabes. Ou comme le rabbin David Menahem, chanteur, joueur d’oud et compositeur de chants liturgiques. L’homme d’origine irakienne revendiwue son arabité et fait du dialogue interreligieux avec des musulmans depuis 17 ans. Par la parole, et par la musique qui « sort la vérité de l’homme », affirme-t-il avec un sourire. Et de raconter cette nuit passée dans le désert de Judée avec d’autres rabbins, des imams, un prêtre et des nonnes. « Alors que j’interprétais les chants d’Oumm Kalsoum, je sentais une forte communion spirituelle. Le monothéisme, c’est aussi l’idée d’une seule humanité », dit-il.

Une humanité qui dans ce dialogue, se cherche un espoir à long terme, comme l’exprime Khalil, après la réunion de Tantour. « Je ne suis là ni pour moi, ni même pour mes enfants : nous ne verrons pas la fin du conflit. Je suis là pour que mes petits-enfants qui connaîtront peut-être la paix sachent que leur grand-père a essayé de faire quelque chose ».