A l'image du monde ultra-orthodoxe dont elle est issue, Vardit Rozenblum doit s'adapter aux imprévus qu'un Dieu farceur a glissés dans son destin. Photo: Aline Jaccottet

Toujours plus nombreux, les juifs ultra-orthodoxes cherchent leur chemin entre repli identitaire et ouverture au monde. Un questionnement qui a marqué toute la vie de Vardit Rozenblum.

A l’entrée du salon aux murs couverts de tableaux trônent plusieurs bouquets de fleurs. A 28 ans, la fille de Vardit Rozenblum vient de se fiancer – alors que sa mère n’en avait que 18 lorsqu’elle s’est mariée. «Oui, les temps changent», sourit la cinquantenaire, soigneusement maquillée sous une perruque impeccablement mise. C’est ainsi que les femmes ultra-orthodoxes issues comme elle d’Europe de l’Est cachent généralement leurs cheveux après le mariage. La coiffe post-noces est d’ailleurs l’affaire du jour dans la famille Rozenblum. Cet après-midi, leur fille ira s’en choisir deux dans un magasin spécialisé : une pour tous les jours, l’autre pour les fêtes. En attendant, elle vient de rentrer de son travail à la banque et grignote des biscuits dans la cuisine, l’oreille collée à son téléphone portable.

Trouver le juste chemin entre la très stricte pratique des 613 mitzvot (bonnes actions) et les avantages du monde moderne, voilà le délicat exercice auquel se livrent aujourd’hui les harédims (craignant-Dieu). Né au XIXe siècle, ce courant du judaïsme s’est véritablement organisé à la naissance de l’État d’Israël en 1948. Afin de faire revivre leur communauté quasi anéantie par le nazisme, les ultra-orthodoxes ont obtenu des subsides pour permettre aux hommes d’étudier la Torah à plein-temps. Or, la renaissance du monde ultra-orthodoxe ne lui permet plus de bouder le monde du travail. Ces juifs très observants sont en effet devenus trop nombreux : 8% de la population israélienne aujourd’hui, pour que l’État continue à les soutenir. La diminution des aides en 2003 a d’ailleurs poussé les familles à rechercher des emplois mieux rémunérés et à s’intégrer davantage dans le reste de la société israélienne.

Une évolution que Vardit a vécue il y a vingt-cinq ans déjà. «Mon idéal de vie, c’était d’être l’épouse d’un érudit de la Torah qui gagnerait ainsi ma part dans le monde futur tandis que je subviendrais aux besoins du ménage. Mais nous étions si pauvres à la naissance de notre deuxième enfant que mon époux a dû trouver un emploi», raconte-t-elle. Quelques années plus tard, les voilà avocats tous les deux : lui dans le civil, elle auprès des tribunaux rabbiniques pour défendre les épouses souhaitant divorcer. Aujourd’hui, Vardit Rozenblum insuffle son dynamisme aux femmes de sa communauté en travaillant comme coach dans un institut de Jérusalem.

Issue d’une famille hongroise et tchécoslovaque qui s’est battue pour la survie du judaïsme, l’élégante avocate craint pour l’avenir de l’ultra-orthodoxie juive… en raison même de la facilité aujourd’hui à être harédi. «Tout, en Israël, est fait pour que l’on puisse maintenir notre mode de vie. On n’a plus à se battre ou faire preuve de courage alors qu’avoir une mission, dans la vie, c’est essentiel». Hier, être ultra-orthodoxe était héroïque ; aujourd’hui, c’est en quittant le mouvement ou en le transformant qu’on se distingue. Et Vardit Rozenblum de conclure : «Le problème, c’est que nous avons gagné».

Que représente Dieu pour vous ?

Il est un père : il m’aime, prend soin de moi et s’assure que je ne faillirai pas. Plus largement, Dieu est aussi le père de l’Histoire car il gère le monde, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Dieu est un maître d’échecs qui sait ce qu’il a à faire et qui a un plan, même s’il est trop grand pour que nous le comprenions.

Comment priez-vous ?

J’essaie de lui parler au moins une fois par jour. Quand arrive le shabbos (le shabbat, période de repos du vendredi soir au samedi soir), je m’étends sur le sofa et je lui parle (Verdit penche la tête en arrière, ferme les yeux et sourit). Je lui dis : ‘mon Dieu, je t’aime tant pour nous avoir donné le shabbat, ce moment de paix profonde où personne ne nous dérange’. Et quand de bonnes choses arrivent, je vais le remercier en priant au Mur des Lamentations. Ce que nous possédons, c’est à sa grâce que nous le devons, pas à nos mérites qui sont si petits.

Avez-vous déjà été en colère contre Dieu ?

Non, parce qu’il n’a aucune obligation envers moi. Bien sûr, la vie est aussi faite de déceptions : nos rêves ne se réalisent pas forcément. Le mien, c’était d’être une typique baleboste (maîtresse de maison en yiddish). Lorsque j’ai compris que mon destin serait différent, j’étais effondrée, puis j’ai appris à me raconter une autre histoire sur moi-même. S’adapter, c’est le secret du bonheur parce que comme on dit chez nous : «Mann tracht un Gott lacht !» («L’homme planifie et Dieu rit» en yiddish).