Nili l’indomptable au pays de Dieu

"Quand un élève me demande si je crois en Dieu, je lui réponds: c'est en toi que je crois!", raconte Nili Gross qui ne pense pas "qu'un vieux monsieur barbu nous regarde de là-haut". Crédit: Aline Jaccottet

Athée, féministe, végétarienne, Nili Gross trouve dans la nature un réconfort face à la société israélienne qui l’écœure depuis l’échec des Accords d’Oslo.

Un jour, ses élèves musulmans lui ont demandé si elle craignait Dieu. « Je ne savais pas quoi dire, alors j’ai lancé sans réfléchir : je crains davantage les cafards.  Vous imaginez le scandale ? », raconte-t-elle, et d’éclater d’un rire magistral qui fait sursauter le matou lové dans ses bras. Elle est comme ça, Nili Gross : provocatrice, verbe uppercut et humour décalé.

Son pedigree, l’Israélienne aux yeux flamboyants l’assène en une phrase : « féministe dans un monde patriarcal, végétarienne au pays du kebab, athée dans une société bigote et libérale chez les conservateurs ». Faut-il encore ajouter qu’elle voue aux animaux un amour particulier. Nili vit ainsi « en parfaite harmonie » avec les escargots, les limaces et les oiseaux du coin, sans compter la dizaine de chats râpés qui l’a adoptée et tournoie autour du canapé dans l’espoir d’une pitance. Enfin, la sexagénaire est une artiste touche-à-tout, comme en témoigne chaque recoin de sa maison de Netanya. Professeure d’arts visuels, cette mère de trois jeunes adultes a mené plusieurs projets réunissant juifs et musulmans en Israël.

C’est qu’elle n’aime ni les frontières, ni les conventions. Née d’un père polonais et d’une mère irakienne, elle apprend vite à jongler entre plusieurs mondes. Il y a celui de l’Europe anéantie par la Shoah et celui de la grande bourgeoisie de Bagdad – « ma mère venait d’un milieu très instruit et très snob ». Celui du grand-père ashkénaze très pieux qui l’emmène à la synagogue à chaque fête juive, et celui, athée, dans lequel baignent ses parents qui ont installé la famille à Jérusalem. Athée à Jérusalem ? Ce qui apparaît extraordinaire aujourd’hui est courant à l’époque.  « Jusque dans les années 1970, on ne voyait pas un religieux dans les rues de cette ville. Le dévouement au sionisme supplantait largement la religion », rappelle Nili.

La Guerre des Six-Jours de juin 1967 ne changera rien à l’absence de Dieu dans la famille Gross. « Personne ne s’est jamais préoccupé de ma pratique religieuse », dit-elle en souriant. Nili la libre tente tout, du voyage à Téhéran juste avant l’arrivée de Khomeiny aux excursions seule à moto dans le désert. Elle fait aussi un séjour sur un « navire de la paix » où elle est la seule femme à bord et tente de devenir pilote dans l’armée de l’air avant de travailler comme hôtesse de l’air et graphiste pour des journaux de Tel-Aviv.

Dans cette vie tumultueuse, Israël est son point de repère. Ce pays, c’est le refuge de son père rescapé de la haine européenne, mais aussi l’horizon de sa mère qui l’a rejoint depuis Bagdad planquée dans le coffre de la voiture d’un sheikh, l’émigration des juifs d’Irak étant interdite jusqu’en 1951. Les épreuves des années 1990 – première guerre du Golfe, première Intifada – effriteront cette tendresse. Nili et son ex-mari, un juif ashkénaze qui détient la nationalité autrichienne, décident de s’installer à Vienne. Ils y vivent cinq ans « dans le bonheur » avant que l’espoir né des Accords d’Oslo ne les pousse à refaire leurs bagages pour Israël. « Itzhak Rabin a été assassiné une semaine avant notre retour. J’ai pleuré toute la nuit, mais c’était trop tard. Il fallait revenir », souffle Nili.

Quasi trente ans se sont écoulés mais Nili n’a jamais surmonté la déception que lui inspire Israël. « Depuis la mort de Rabin, je n’ai plus regardé les informations. Les nouvelles sont si mauvaises, pourquoi devrais-je souffrir ? », s’exclame-t-elle. Un pessimisme qui n’empêche pas la sexagénaire de s’impliquer dans plusieurs projets de coexistence. « Je crois à peine en l’être humain, mais j’essaie de ne pas désespérer de ceux que je rencontre », et de conclure avec un regard malicieux : « Maintenant, quand un élève me demande si je crois en Dieu, j’ai trouvé ma réponse. Je lui dis : c’est en toi que je crois ! »

Que représente Dieu pour vous ?

Rien. Je n’ai jamais cru en l’existence d’une force extérieure qui aurait créé le monde ou nous regarderait d’en haut en prenant des décisions. Et si je lis la Bible qui dit que nous avons été créés à son image, je n’ai plus d’espoir. Comment un être aussi méchant et cupide que nous pourrait nous sauver ? (Elle rit).

Comment expliquez-vous alors que la foi soit si répandue ?

L’idée de Dieu répond à des besoins. D’abord, celui d’expliquer des phénomènes qui nous échappent totalement. Ensuite, celui de réguler la société par des lois. D’ailleurs, les textes religieux sont des manuels de vie porteurs de beaucoup de sagesse. Mais il n’y a pas besoin d’être croyant pour reconnaître l’importance de ces valeurs. Il suffit d’être humain. (Elle sourit).

Lorsque vous voulez vous ressourcer, où allez-vous ?

Là où il y a des arbres, des oiseaux… Mais je ne peux pas dire que je vais dans la nature : je suis nature, comme tout être vivant, et les animaux sont un exemple pour moi. Ils ont compris le sens de la vie.

Et ce sens, quel est-il ?

Exister, tout simplement. Voyez ce chat. Il profite du moment, il ne se pose aucune question. Tous nos problèmes – la quête de sens, le chaos – sont apparus lorsque nous avons quitté la nature. Nous avons abandonné la vie pour la vie, au profit de la vie où l’on court. Mais après quoi ?