Netanyahou adoubé par un pays plus à droite que jamais

La Knesset à Jérusalem. Photo: IStock

Le succès du bloc formé par les religieux et la droite a donné les coudées franches au premier ministre sortant. Au point de pouvoir mettre à distance ses ennuis judiciaires en échange de l’annexion de la Cisjordanie?

Israël est une terre de résurrections. Ce que l’on sait par la Bible, on a pu le vérifier une fois encore par les urnes: donné pour mort politiquement il y a quelques mois, Benyamin Netanyahou a triomphé mardi soir, selon plus de 95% des scrutins dépouillés mercredi après-midi. Ce sera lui, le chef de la 21e Knesset, battant par cette victoire le record de longévité de David ben Gourion, fondateur de l’Etat d’Israël, au poste de premier ministre.

Certes, Bleu Blanc, le parti centriste de son rival Benny Gantz, a obtenu autant de sièges que le Likoud: 35. Ceci indique qu’un nombre non négligeable d’Israéliens veulent une autre personnalité que Netanyahou à la tête de leur pays fragmenté: pour la huitième fois, aucun parti n’a obtenu un tiers des votes. Mais l’essentiel, dans le système israélien, c’est de conclure des alliances. Or, la majorité des partenaires de «Bibi» – les ultra-orthodoxes, les religieux sionistes et le centriste Koulanou – ont obtenu les 3,25% des voix exigées pour être à la Knesset. La coalition de droite est ainsi forte de 65 sièges, dix de plus que le bloc de centre gauche.

Le pire score pour la gauche

Quant à la gauche historique, elle n’a que ses yeux pour pleurer. Le Parti travailliste, qui avait fondé l’Etat d’Israël, décroche le pire score jamais vu: six sièges seulement. Pour les Arabes israéliens aussi, mardi était un triste jour. Décrédibilisés et attaqués par la droite, espionnés par 1200 caméras cachées illégalement par des activistes du Likoud dans les bureaux de vote, ils ont remarquablement peu participé à l’élection.

Comment expliquer que le Likoud ait obtenu son meilleur score depuis 2003 alors qu’il affrontait un parti dirigé par plusieurs militaires de haut rang face à un Netanyahou empêtré dans les affaires judiciaires? On pourrait évoquer la combativité du septuagénaire durant la campagne. Attaques personnelles, omniprésence sur les réseaux sociaux, annonces-choc, déplacements insolites – mardi en fin d’après-midi, il engueulait les baigneurs sur la plage de Netanya: «Sortez de l’eau et votez Likoud!» –, l’homme s’est démené.

En adéquation avec la société

On pourrait aussi évoquer les coups de pouce à l’international. Donald Trump qui reconnaît la souveraineté israélienne sur le Golan, Vladimir Poutine qui l’aide à rapatrier en Israël les restes d’un soldat mort au combat il y a trente-sept ans, Jair Bolsonaro en visite inédite au mur des Lamentations…

En réalité, s’il a triomphé, c’est parce que Netanyahou est en profonde adéquation avec une société israélienne toujours plus religieuse et à droite. Ces derniers mois, il a œuvré à la loi sur l’Etat-nation qui favorise clairement la judéité de l’Etat au détriment de sa dimension démocratique, renforcé les ultra-orthodoxes et a voulu s’allier au parti extrémiste Force juive pour l’emporter. Dans cette configuration, la Cisjordanie est un champ de bataille électorale déterminant. Netanyahou sait combien la « Judée-Samarie » est chère aux religieux sionistes, lui qui n’a cessé d’en accélérer la colonisation ces dernières années.

«Le deal du siècle»

A présent, elle pourrait lui servir de monnaie d’échange dans ce que le quotidien de gauche Haaretz appelle «le deal du siècle»: l’abandon des poursuites judiciaires qui le visent en échange de l’annexion de la Cisjordanie à Israël. L’idée d’une annexion semble folle et pourtant, depuis que les Américains ont reconnu la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan, elle a fait beaucoup de chemin au sein de la droite religieuse. «Bibi» déclarait d’ailleurs juste avant l’ouverture des bureaux de vote: «Je ne diviserai pas Jérusalem, je n’évacuerai aucune communauté et je m’assurerai que nous contrôlions le territoire à l’ouest du Jourdain.»

Un quart de siècle après Oslo, 42% des Israéliens soutiennent l’idée d’une annexion, selon un sondage réalisé en mars par Haaretz. Et ce ne sont pas les Américains qui sauveront les droits des Palestiniens. «Ils ont coupé le contact avec l’Autorité palestinienne ainsi que les ressources qu’ils lui octroyaient, fusionné le bureau de Jérusalem chargé des affaires palestiniennes avec l’ambassade… Il faut voir à quoi ressemblera leur plan de paix, mais s’ils avaient voulu démanteler un projet national, ils ne s’y seraient pas pris autrement», réagit une source proche du dossier.

Comme tous les populistes

En échange de l’annexion, donc, «Netanyahou pourrait demander au gouvernement de voter une loi empêchant toute poursuite contre un premier ministre en exercice», affirme Aluf Benn, un analyste israélien. Ce scénario n’est pas impensable dans un pays où la justice est régulièrement attaquée par le gouvernement de Netanyahou: comme tous les populistes, il ne manque jamais une occasion d’attaquer les élites et la presse.

Reste à savoir si le premier ministre sera plus rapide que le procureur général Avichaï Mendelblit, qui pourrait l’inculper d’ici à la fin de l’année dans trois affaires de corruption. Un autre test démocratique pour les institutions de l’Etat hébreu, après cette élection sur laquelle plane l’ombre de l’autoritarisme.