En Israël, une femme laïque à la tête de la droite religieuse

La Knesset à Jérusalem. Photo: IStock

L’ancienne ministre de la Justice Ayelet Shaked a été choisie comme tête de liste de Droite unie, l’alliance des partis religieux de droite, pour l’élection du 17 septembre. Cette politicienne dérange à plus d’un titre.

Le rabbin Shlomo Aviner doit en manger son chapeau. Début juillet, cette personnalité respectée du monde juif orthodoxe affirmait que les femmes «n’ont pas leur place dans la complexité du monde politique». Un mois plus tard, l’ex-ministre de la Justice Ayelet Shaked, qui avait rétorqué sur Twitter qu’«une femme peut tout faire […] même devenir cheffe d’Etat», a été nommée à la tête de l’alliance Droite unie, bloc de la droite religieuse sioniste.

Des hommes à la kippa tricotée dirigés par une femme, et une femme laïque, c’est le scénario choc qui s’est dessiné jeudi soir lorsque les partis ont annoncé la composition des listes en vue des élections législatives du 17 septembre. Des élections auxquelles se présentent neuf ensembles politiques seulement, du jamais vu dans l’histoire d’Israël. Comme si les politiciens tiraient la leçon de leur désastreuse dispersion en avril. Lors du précédent passage aux urnes, on avait vu plusieurs partis faisant cavalier seul échouer devant la barre des 3,25% de voix requise pour entrer au parlement.

Le choix d’Ayelet Shaked peut paraître étonnant, car elle dérange. Elle dérange les religieux, parce qu’elle est laïque. Cela a mené plusieurs rabbins de premier plan à lancer une pétition pour l’empêcher de diriger un bloc religieux – sans succès. Car en septembre, l’union fera la force et il n’y a qu’Ayelet Shaked pour la garantir. Laminés aux dernières élections, les chefs des partis Foyer juif et Union nationale, le rabbin Rafi Peretz et Bezalel Smotrich, se sont ainsi résolus à resserrer les rangs derrière cette femme qui dirige depuis avril La Nouvelle Droite, formation à l’idéologie très proche de la leur.

Des airs de James Bond Girl

Ayelet Shaked dérange aussi les machos, qui se sont déchaînés lorsque cette politicienne aux airs de James Bond Girl a été élue ministre en 2015. «Enfin une ministre de la Justice digne de figurer sur les calendriers des garagistes!» avait taclé le député Joseph Paritsky sur Facebook. Des attaques sexistes qui ont poussé de nombreuses femmes – et des hommes – à la défendre. Elue «femme de l’année» par le magazine Forbes en 2017, la quadragénaire dérange pourtant aussi les féministes. C’est que jusqu’à présent, toutes les Israéliennes qui ont dirigé un parti politique provenaient de la gauche ou du centre. Ainsi de la socialiste Golda Meir, quatrième premier ministre de l’Etat, ou Tzipi Livni, ancienne cheffe du centriste parti Kadima. Des formations qui se battaient pour les droits des femmes dans la ligne de leur aspiration à l’égalité et à la justice sociale.

Au contraire, Ayelet Shaked est de droite – une droite pure et dure. Ministre de la Justice entre 2015 et 2019, ses cibles favorites sont la gauche, dont elle voit la main partout, et les Palestiniens. «Ceci est une guerre entre deux peuples. Qui est l’ennemi? Le peuple palestinien. Pourquoi? Demandez-leur, ce sont eux qui ont commencé […]. Dans les guerres, l’ennemi est un peuple dans son intégralité, y compris les personnes âgées et les femmes, les villes et les villages, les propriétés et les infrastructures», écrivait-elle sur Facebook en 2014, reprenant, en pleine opération «Plomb durci» sur Gaza, les propos d’un leader israélien de la droite.

Des attaques contre la démocratie

Des Palestiniens dont cette Israélienne d’origine irakienne ne souhaite pas voir l’indépendance, elle qui soutient l’annexion des parties de la Cisjordanie contrôlées par Israël. Quant aux habitants de zones contrôlées par l’Autorité palestinienne, qu’ils «forment une confédération avec Gaza», affirmait-elle en février 2019. Ayelet Shaked est aussi favorable au rétablissement de la peine capitale. «Les meurtriers d’enfants et de familles méritent la peine de mort», écrivait-elle en juillet 2017 sur Twitter.

Les institutions démocratiques n’ont pas été épargnées par ses charges. La quadragénaire a ainsi œuvré pour l’adoption du texte sur l’Etat-nation stipulant que «la réalisation du droit à l’autodétermination nationale en Israël est unique au peuple juif». Adoptée en juillet 2018 à une courte majorité par le parlement, la loi est considérée comme une atteinte à l’égalité entre citoyens et, par conséquent, à la démocratie. Ayelet Shaked a aussi fait passer une législation limitant l’action des organisations non gouvernementales critiques du gouvernement et de l’armée. Elle n’a cessé de s’en prendre aux juges et aux cours de justice, trop libérales à son goût. Enfin, cette ingénieure de formation a aussi cherché activement à expulser les requérants d’asile africains, soutenant que leurs enfants devraient être scolarisés dans des établissements séparés.

Le succès d’Ayelet Shaked malgré le fait qu’elle soit une femme, et une femme laïque, en dit beaucoup sur le virage très à droite de l’électorat sioniste religieux israélien. Un électorat qui pèsera lourd en septembre: selon les derniers sondages, Droite unie devrait être la troisième formation la plus importante au parlement israélien, après le Likoud de Benyamin Netanyahou et le parti Bleu Blanc de son adversaire Benny Gantz.