Netanyahou divise le mini-Israël

Photo: Aline Jaccottet

Depuis 2009, Rehovot est le baromètre du vote juif israélien. Une promenade dans cette petite ville du sud de Tel-Aviv permet de comprendre les stratégies électorales pour ou contre Benyamin Netanyahou.

Quelle ville représente le mieux Israël: Jérusalem ou Tel-Aviv? A cette éternelle question, voici une surprenante réponse: en fait, c’est Rehovot. Si ce nom ne vous dit rien, c’est que cette ville israélienne de la taille de Lausanne, à une demi-heure au sud de Tel-Aviv, est particulièrement calme. Tout juste sait-on, si l’on a la fibre scientifique, qu’elle accueille l’Institut Weizmann qui brille depuis 70 ans par sa recherche.

Un mini-Israël bariolé

Quasi-personne ne la situe sur une carte mais, depuis dix ans, elle est «l’Ohio d’Israël». En 2009, une enquête sur les votes a en effet établi qu’à 2% de marge d’erreur près, le choix des habitants de Rehovot reflète parfaitement celui de la population du pays. La population juive, il faut le préciser, Rehovot ne comptant quasi aucun Arabe israélien alors que cette population représente 21% des citoyens israéliens. Cette représentation s’est confirmée en 2013 et en 2015 où le Likoud du premier ministre Netanyahou a été plébiscité, et en avril 2019 où on l’a trouvé au coude à coude avec Bleu Blanc, le parti de son rival Benny Gantz.

Ce qui fait de cette ville créée en 1890 un mini-Israël, c’est la diversité de ses habitants. Après Jérusalem et Bnei Brak, Rehovot compte la plus forte population ultraorthodoxe d’Israël; on y trouve les courants les plus ouverts comme les loubavitchs, mais aussi les sectes mystiques les plus fermées comme les Belz et les Satmar. Attirée par un marché immobilier bien plus abordable qu’à Tel-Aviv qu’un train dessert (plus ou moins bien), la nouvelle bourgeoisie travaillant dans la high-tech s’y est installée dans des quartiers confortables. Elle côtoie l’élite scientifique, logée près du vert campus de l’Institut Weizmann fier de sa tour sortie tout droit de Star Wars (voir photo). Au sud de la ville se situent par contre des quartiers beaucoup plus pauvres. Enfin, le patchwork culturel est particulièrement bariolé. On trouve de nombreux Russes ayant émigré après la chute de l’URSS, des Yéménites, des Ethiopiens, une forte communauté d’Afrique du Nord et plusieurs «anglos».

Sara, Téhéran, même combat

Ce mardi, tout se joue sur une question: pour ou contre Benyamin Netanyahou, alias «Bibi»? Vendredi, les derniers sondages autorisés montraient son Likoud engagé dans un duel féroce avec Bleu Blanc, les deux partis emportant chacun 32 sièges sur 120, loin devant tous les autres. Pour l’emporter, l’indéboulonnable premier ministre pourra compter sur un fan-club fervent: celui des commerçants du souk de Rehovot, un dédale d’étals sales et animés à deux pas d’un centre commercial climatisé sur trois étages. Kippa noire et fort accent arabe, Yaakov est très occupé à entasser les chaussures qu’il vend sur une table mais il lâche tout en entendant le mot élections. «Moi, je suis avec Bibi. Un homme qui arrive à gérer une épouse comme Sara peut triompher de tout, y compris de Téhéran et du Hezbollah!» Un peu plus loin, une marchande de légumes lance, derrière sa pile de pommes de terre: «Benny Gantz n’a pas d’expérience diplomatique et la présidente du parti Droite, Ayelet Shaked, est une femme. L’homme de la situation, c’est lui. Il n’y a pas d’alternative.»

La gouvernance de Benyamin Netanyahou déçoit pourtant plus d’un Israélien. Il y a la corruption, le népotisme, l’attitude envers les Palestiniens mais aussi, on l’oublie souvent, de graves problèmes sociaux à l’interne. En juillet, les Juifs éthiopiens ont par exemple massivement manifesté contre les discriminations après la mort d’un jeune abattu par un policier. «Personne ne nous écoute, alors mes enfants me poussent à abandonner le Likoud pour lequel j’ai toujours voté en faveur de Bleu Blanc», explique ainsi Mengisto, Israélien d’origine éthiopienne rencontré dans son échoppe d’épices.

Videur de boîte de nuit

Selon les derniers sondages, trois partis devraient obtenir des scores très proches. Il s’agit de la Liste Jointe (Arabes israéliens, 10,5 sièges), d’Israel Beitenou (droite nationaliste laïque, 9,5 sièges) et de Yamina (droite religieuse, 9,5 sièges). A Rehovot, la Liste Jointe n’a quasi aucune chance d’emporter des voix. En revanche, la ville compte un sixième d’Israéliens originaires d’ex-URSS, soit l’électorat d’Israel Beitenou dirigé par Avigdor Lieberman, ancien ministre de la Défense et videur de boîte de nuit dans une autre vie. «Il est le seul qui nous comprend», commente Simha, un barbier de la rue Herzl, entre deux coups de ciseau.

Enfin et comme dans le reste du pays, les ultraorthodoxes de Rehovot ne donnent pas forcément leurs voix à leurs partis historiques. Avec 7,5 et 7 sièges, Judaïsme Unifié de la Torah et Shas devraient ainsi avoir un peu moins de succès que Yamina («Droite»), formation religieuse sioniste de l’ancienne ministre de la Justice Ayelet Shaked. «Ici, les politiciens ne pensent qu’à leurs miches, aucun ne s’intéresse à nos vrais problèmes: payer les factures et donner une instruction correcte aux enfants», déplore Chaya, une ultraorthodoxe d’origine américaine. Le seul qui trouve grâce à ses yeux, c’est Neftali Bennett, un ancien ministre de l’Education qui a «beaucoup fait pour les écoles religieuses» – raison pour laquelle elle votera Yamina où il est numéro 2.

La désillusion de la gauche

C’est autour de l’Institut Weizmann que l’on trouve les électeurs de la gauche, une gauche minoritaire (5,5 sièges pour les travaillistes) et «en lambeaux» selon les mots de Yaakov, un scientifique travaillant sur le campus après avoir vécu aux Etats-Unis. «Les gens qui partagent mes opinions se replient sur leurs vies, sur leurs familles, parce qu’ils sont perdus et dégoûtés. Je ne voterai à gauche que pour la beauté du geste, pas parce que je crois avoir encore un impact», résume-t-il. Ce n’est pas le calcul d’Aviva qui a grandi dans un kibboutz. «Je suis travailliste, mais soutenir un parti qui s’effondre n’a pas de sens. Mardi, je voterai peut-être Bleu Blanc. L’essentiel, c’est que Benyamin Netanyahou ne passe pas», s’exclame-t-elle. Bibi, elle n’en veut pas, les «Arabes» non plus: «J’entends beaucoup ces dernières semaines qu’ils ne cherchent qu’à détruire Israël et cela m’inquiète», conclut-elle.