Reuven Rivlin, gardien d’un temple malmené

Benny Gantz et Benjamin Netanyahou. Photo: CR

Au cœur de la bataille entre Netanyahou et Gantz pour le pouvoir, le président israélien joue un rôle fondamental.

Il est le capitaine d’un bateau en pleine tempête. Président de l’Etat d’Israël depuis 2014, Reuven Rivlin a assisté lundi soir à un événement jamais vu en dix ans et quatre élections successives. Incapable de former un gouvernement, Benyamin Netanyahou lui a remis son mandat dans une vidéo publiée sur Facebook. Il a annoncé son échec le jour de ses 70 ans, après une étrange période de silence.

Comment la crise se terminera-t-elle? Difficile à dire. Benny Gantz, le rival Bleu Blanc de Netanyahou, va avoir à son tour 28 jours pour créer une coalition, mais ses chances d’y parvenir semblent très faibles. La procédure prévoit qu’un autre député pourrait ensuite être désigné par 61 parlementaires sur 120 pour former un gouvernement, mais on voit mal qui réussirait. Une troisième élection pourrait être organisée en mars, sans aucune garantie qu’elle dénoue les blocages.

Le sort de Netanyahou, l’inclusion des partis arabes, les privilèges accordés aux ultra-orthodoxes: personne ne semble s’entendre pour avancer. Un imbroglio auquel s’ajoute le poids moral des affaires 1000, 2000, 3000 et 4000 dans lesquelles le premier ministre est soupçonné de fraude et de corruption. Après avoir entendu ses avocats peu après les élections, le procureur général et son équipe doivent à partir de mardi déterminer les suites à donner à la procédure.

Un homme attaché aux droits des Palestiniens

Dans ce marasme, le président Rivlin fait figure de boussole pour ses compatriotes désabusés. Il est très attaché à l’Etat de droit et au dialogue, et ses efforts pour aplanir les dissensions lui ont valu une estime et une affection grandissantes… et une pointe de moquerie. Après qu’il a passé, en dépit de ses 80 ans, des heures à parlementer avec Benyamin Netanyahou et Benny Gantz, la chaîne publique pour enfants Canal 23 a détourné le cliché officiel où on le voit joindre sa main à celles des deux politiciens pour y faire figurer… des Bisounours.

On ne peut pourtant pas accuser Rivlin d’angélisme lorsqu’il s’agit du devenir d’Israël. Partisan du Likoud de la première heure, cet héritier de l’aristocratie intellectuelle de droite, opposé à la création d’un Etat palestinien, est un farouche défenseur d’un Grand Israël qui s’étendrait de la Méditerranée jusqu’au Jourdain. Des positions qui pourraient faire penser que cet homme, dont la famille habite Jérusalem depuis sept générations, est proche de l’extrême droite. La réalité est plus complexe. Fils du premier traducteur du Coran vers l’hébreu, «Ruby» comme l’appellent les Israéliens est très attaché aux droits des Palestiniens vivant en Israël.

Inimitié notoire avec Netanyahou

Lorsqu’il a été obligé de signer la loi sur l’Etat-nation affirmant en juillet dernier les privilèges des juifs vivant en Israël, il l’a d’ailleurs fait en calligraphie arabe afin de marquer sa désapprobation. Reconnu et apprécié pour son engagement, il l’a aussi été grâce à son épouse, Nechama. Décédée en juillet, celle dont le nom signifie «Réconfort» apportait une simplicité contrastant agréablement avec le faste entourant Sara Netanyahou. «Son charme résidait dans le fait qu’elle ne ressemblait pas à une officielle et n’essayait pas de le devenir», relevait ainsi un chroniqueur du journal de gauche Haaretz pourtant totalement opposé aux vues messianiques du président.

Bien que Reuven Rivlin et Benyamin Netanyahou soient tous deux du Likoud, leur inimitié est connue. «Bibi» a tenté de saboter l’élection de «Ruby» comme président. Quant à «Ruby», «son opinion sur Netanyahou s’exprime en des termes difficilement publiables», résumait le journaliste Ben Caspit dans son livre, The Netanyahu Years. «Netanyahou veut régner seul et déteste quiconque se met sur son passage, tandis que Rivlin est un homme de droite libérale qui croit en la démocratie, en un marché libre et en les droits de l’homme», explique Gideon Rahat de l’Institut israélien pour la démocratie. Une vision sur laquelle l’octogénaire s’appuie pour porter la voix de ses compatriotes exaspérés et tenter d’éloigner le spectre d’une troisième élection.