Benyamin Netanyahou à l’heure de l’accusation

Affiches électorales à Jérusalem en 2014. Photo: IStock

Le premier ministre a été accusé de fraude, corruption et abus de confiance par le procureur Avichaï Mendelblit. Une première dans l’histoire de l’Etat hébreu, qui assombrit encore l’avenir politique de Benyamin Netanyahou

Le couperet est tombé. Un an et huit mois après son premier interrogatoire par la police, Benyamin Netanyahou est devenu le seul premier ministre en exercice de l’histoire de l’Etat d’Israël à être accusé par la justice de corruption, fraude et manquement. L’annonce faite jeudi en fin de journée par le procureur général Avichaï Mendelblit est une étape cruciale dans la longue enquête autour du premier ministre.

Trois cas

Rappelons que «Bibi» est visé dans trois affaires connues sous les noms de «cas 4000», «cas 3000» et «cas 1000». Dans le «cas 4000», le procureur l’accuse de corruption. Alors qu’il était ministre de la Communication, Netanyahou aurait obtenu une couverture médiatique favorable du site internet Walla News détenu par Shaul Elovitch. L’homme, patron de l’entreprise de télécommunications Bezeq, a profité en échange de mesures régulatoires favorables lui ayant permis de gagner quelque 500 millions de dollars.

Dans le «cas 2000», Netanyahou est accusé de fraude et de rupture de confiance. Il aurait discuté avec l’éditeur du quotidien Yediot Ahronoth d’une couverture médiatique favorable en échange de la limitation de la diffusion du journal rival Israel Hayom. Enfin, dans le «cas 1000», il s’agit de fraude et rupture de confiance. Il aurait reçu pendant plusieurs années cigares et champagne du magnat d’Hollywood Arnon Milchan et du milliardaire James Packer. Sa famille aurait aussi demandé et obtenu des cadeaux. Tout cela lui vaut d’être accusé de conflit d’intérêts et d’usage de sa position par le procureur.

Une procédure qui pourrait durer sept ans

Les accusations sont graves, la procédure inédite, mais on n’est pas près de voir Netanyahou derrière les barreaux – si tant est que sa place y soit. Au total, la procédure pourrait en effet durer plus de… sept ans, si l’on se base sur les précédents jugements d’officiels élus. Et s’il était condamné à quasi 80 ans, le premier ministre pourrait invoquer son âge avancé pour obtenir des aménagements de peine. Bref, le septuagénaire qui domine la vie politique israélienne au point d’avoir battu en avril le record de longévité du fondateur de l’Etat d’Israël, David ben Gourion, n’a pas dit son dernier mot.

Après que son équipe d’avocats a perdu le round face au procureur début octobre, la bataille de Bibi se résume maintenant à un objectif: l’immunité. Netanyahou devrait se lancer dans une procédure largement entravée par la vacance de gouvernement, puisque c’est d’abord à un comité spécial de la Knesset de trancher sur la possibilité de lui octroyer ce statut. Une fois la décision prise, un appel sera certainement fait et la Haute Cour de justice devra trancher – un processus qui pourrait prendre de six mois à deux ans. Cela signifie concrètement qu’une troisième élection aura lieu avant le début du procès de Netanyahou.

Prise d’otage

Mais rien ne le découragera, lui qui n’a pas hésité ces derniers mois à prendre en otage la démocratie israélienne pour parvenir à ses fins. Incapable de former un gouvernement après des élections d’avril l’ayant vu au coude-à-coude avec son rival Benny Gantz, «Bibi» avait ainsi préféré convoquer de nouvelles élections plutôt que de s’exposer davantage aux poursuites en quittant son poste de premier ministre.

La bataille de l’immunité, Bibi l’a aussi jouée sur le plan idéologique en faisant miroiter aux députés de la droite religieuse une annexion de la Cisjordanie en échange de ce précieux statut. Il aura vraiment tenté le tout pour le tout. Hélas pour lui, le 18 septembre, cul-de-sac! Le Likoud n’obtient que 32 sièges contre 33 pour Bleu et Blanc. Pire encore, ses alliés naturels de la droite religieuse ne percent pas suffisamment pour lui assurer une majorité. Au quartier général du Likoud, c’était la soupe à la grimace la nuit suivant le scrutin. Incapable de former un gouvernement, il passe la patate chaude à son rival Benny Gantz, qui a lui aussi jeté l’éponge mercredi soir.

«Triste jour»

Jours de défaite pour le président Rivlin qui avait tout fait pour éviter ce scénario, et pour les Israéliens face à la perspective d’une troisième élection harassante début mars. Jours de défaite pour Netanyahou surtout, dont Benny Gantz citait jeudi soir avec jubilation un tweet datant de 2008: «Un premier ministre plongé jusqu’au cou dans les enquêtes n’a de mandat ni public ni moral pour prendre des décisions cruciales concernant l’Etat.» Avant de commenter sobrement sur son fil Twitter personnel: «Triste jour pour l’Etat d’Israël.»