En Cisjordanie, une apathie qui étouffe la colère

Photo : Aline Jaccottet

La mobilisation populaire a été remarquablement faible à l’annonce du plan de paix. Ce alors que les factions politiques palestiniennes se sont réunies pour la première fois en neuf ans

Autour du rond-point Al-Manara de Ramallah, les visages sont graves, la foule clairsemée. Un étrange silence règne, à peine brisé par un vendeur qui tente d’appâter le client, ses salades dans un caddie. Quelques jeunes Palestiniens tentent de brûler des dollars géants, mais le feu ne prend pas. Quelques flammes pourtant, celles d’un drapeau américain, réchauffent les militants immobiles. En ce mardi soir, l’ambiance de la manifestation qui se tient à l’heure de l’annonce du plan de paix américain fait davantage penser à un enterrement qu’à une manifestation politique. Deux cents personnes à peine sont rassemblées dans le froid pour protester. Parmi elles, de nombreux porteurs de keffiehs noir et blanc caractéristiques du Fatah, le parti de Mahmoud Abbas.

«On va se battre, on ne cessera pas d’exister. Depuis l’établissement de l’Etat d’Israël en 1948, nous ne cessons d’être trahis mais personne ne pourra convaincre mon fils que la Palestine n’existe pas», veut croire Atif Abou Saif, le ministre palestinien de la Culture. Et de serrer contre lui le gamin qu’il a prénommé Yasser Arafat. Un peu plus loin, des étudiants de l’Université de Bir Zeit tiennent des panneaux sur lesquels ils ont écrit, au stylo rouge, leur rejet de la politique de Donald Trump.

Les télévisions palestiniennes sont braquées sur ces quelques militants, mais Mouaqaf n’est pas dupe. Ce Palestinien de Hébron s’apprête à repartir chez lui, un sac plein de commissions à la main. «Sur 200 personnes, il y a au moins 100 journalistes. Si c’était vraiment une mobilisation populaire, les rues seraient noires de monde.» Il n’entend pas participer à la manifestation. «Dire qu’on n’est pas d’accord, qu’est-ce que ça pourra bien changer? La seule chose qui nous reste, c’est d’essayer de vivre notre vie quotidienne un peu normalement. Allez, bonne soirée», lance-t-il en rigolant avant de s’éloigner.

C’est peu dire que l’apathie a vaincu la colère des Palestiniens face à un projet politique promouvant les intérêts de la droite religieuse israélienne. Certes, la fin de l’après-midi de mardi a été marquée par quelques heurts. A Al-Bireh par exemple, en face de la colonie de Beit-El, une trentaine de jeunes garçons armés de lance-pierres ont affronté une armée israélienne sur les dents, forçant une grande partie du trafic à se détourner vers un checkpoint de Qalandia totalement surchargé. Lundi soir, des habitants du camp de réfugiés de Deheisheh près de Bethléem ont organisé une manifestation lors de laquelle des photos de Donald Trump ont été brûlées. Et dans la bande de Gaza, le comité qui avait organisé les Marches du Retour en mars 2018 a appelé à une reprise de la mobilisation.

Mais les réactions sont pour l’instant remarquablement calmes au regard de la dépossession politique. «Les réfugiés ne sont pas reconnus, les colonies dont l’existence constitue un crime de guerre ne cessent de s’étendre et Israël a institué un régime de domination qui représente un apartheid, tout ça avec la bénédiction de Washington», déplore Rania Muhareb, juriste pour l’ONG Al-Haq, active dans les droits de l’homme. Et de citer la reconnaissance de Jérusalem comme capitale, de la souveraineté israélienne sur le Golan et de la légalité des colonies comme autant de preuves de violations du droit par les Etats-Unis. «Aucune solution efficace et durable ne peut être conclue sans mettre fin aux violations massives des droits des Palestiniens.»

Inefficacité de l’Autorité palestinienne

Des actes face auxquels la population ne peut que constater l’inefficacité de son leadership, qu’elle considère comme impuissant et corrompu. L’Autorité palestinienne a bien menacé ces derniers jours de mettre fin à la coopération sécuritaire avec Israël ou de rompre les Accords d’Oslo, mais personne n’y croit. Le président palestinien a refusé un appel téléphonique de Donald Trump lundi, mais il n’a de toute manière aucun contact avec la Maison-Blanche depuis l’annonce du déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem. La seule coopération entre Palestiniens et Américains a lieu dans le domaine de la sécurité.

Le sursaut populaire proviendra peut-être de la réunion des factions politiques. Mardi soir et pour la première fois en neuf ans, des chefs du Fatah, du Hamas et du Djihad islamique se sont retrouvés sous le même toit à Ramallah pour envisager une stratégie commune. Ce, quelques heures après un appel téléphonique inédit entre le chef du Hamas Ismail Haniyeh et le président Abbas. Ce dernier doit s’envoler mercredi pour Le Caire pour une série de rendez-vous, notamment avec la Ligue arabe.

«Nous devons faire plus que de simplement dire non. Nous devons nous mobiliser et sortir de l’apathie. Personne ne défendra nos droits si nous ne le faisons pas nous-mêmes», affirme Nidal Foqaha, directeur général de l’Initiative de Genève à Ramallah. Un appel qui sonnait mardi soir comme un vœu pieux dans les rues de sa ville.