Le coronavirus, révélateur des fractures israéliennes

image istock

Communautarisme et conflits politiques minent la gestion de la maladie par le gouvernement israélien. La population en perd son hébreu.

Faudra-t-il croquer seul dans la pomme au miel, au soir du nouvel an ? La question est dans tous les esprits en Israël. Alors que les fêtes marquant le passage à l’année 5781 auront lieu dans une semaine, le gouvernement devait annoncer jeudi soir les modalités du prochain confinement. Des règles qu’il devient plus difficile de suivre à mesure que la confiance envers les autorités s’érode. Ils ont beau être habitués à vivre dans le chaos, les Israéliens sont exaspérés par la gestion de cette crise sanitaire.

La division d’Israël en communautés qui ont chacune leur agenda ne fait qu’aggraver la situation. Dans ce contexte, les juifs ultra-orthodoxes jouent un rôle crucial. Particulièrement touchés par le coronavirus, ces croyants représentent 12% de la population, mais plus de 22% des malades. Comme les Arabes israéliens eux aussi atteints de plein fouet, ils font partie des segments les plus pauvres et à la plus forte progression démographique d’Israël. Les convaincre d’appliquer les recommandations sanitaires est crucial. Or, le leadership ultra-orthodoxe perçoit les directives étatiques comme une insupportable entrave à l’autonomie qui leur permet d’évoluer dans le strict respect de leur compréhension du judaïsme depuis septante-trois ans. C’est en effet grâce à un accord passé en 1948 avec le fondateur de l’Israël moderne David Ben Gourion que personne ne s’est jamais immiscé dans la conduite de leurs affaires.

Une liberté qu’ils ont défendue en s’investissant en politique avec tant de succès qu’aujourd’hui, le premier ministre israélien ne peut plus rien faire sans eux. Benjamin Netanyahou doit absolument rester au pouvoir pour éloigner de lui le spectre des procès, alors qu’il a été mis en accusation pour corruption dans trois affaires. Le procureur général de l’Etat d’Israël commençait d’ailleurs mercredi à examiner s’il devait quitter son poste de premier ministre pour avoir profité de ses privilèges afin de dénigrer la justice. Dans ce contexte, impossible de fâcher ses alliés des partis ultra-orthodoxes Shas et Judaïsme Unifié de la Torah.

Il faut avoir cet élément en tête pour comprendre la semaine mouvementée qui vient de se dérouler. Dimanche, le plan de lutte contre le coronavirus a été abandonné à peine quelques heures après avoir été annoncé. Divisant Israël en zones vertes, jaunes, oranges ou rouges, il a été attaqué par les ultra-orthodoxes dont plusieurs localités auraient dû être confinées.  Lettre ouverte pour annoncer leur refus d’appliquer les mesures, menaces de sécession : en à peine quelques heures, Benjamin Netanyahou a fait volte-face. Mardi soir, le confinement partiel d’une quarantaine de villes était adopté pour une semaine, une mesure peu respectée dans de nombreux quartiers orthodoxes.

Jour après jour, Israël navigue à vue face au coronavirus. Il affaiblit encore la gouvernance politique d’un pays qui n’a échappé que de justesse à une quatrième élection. Le conflit entre le premier ministre et celui de la défense Benny Gantz est connu, celui de la Santé et de l’Intérieur ne cachent pas leurs désaccords non plus… Il faut pourtant agir, et vite. Il est aujourd’hui le pays qui déplore le plus fort taux d’infections au monde, comme le confirment les derniers résultats : plus de 3000 nouveaux cas mardi, 3500 mercredi, près de 4000 jeudi… Alors qu’il compte à peine plus d’habitants que la Suisse – 8,88 millions contre 8,57 millions -, le nombre total de cas y est largement trois fois supérieur, 142’582 contre 45’306.

C’est d’autant plus stupéfiant que le pays avait été cité en exemple pour sa réactivité et sa rigueur lors de la première vague de coronavirus du mois de mars. La lutte contre le virus était alors menée par l’armée et les services secrets ; ils avaient su anticiper, et discipliner une population sensible aux messages venant de l’appareil sécuritaire. C’était avant que le communautarisme et les luttes de pouvoir minent une bataille qu’Israël semble être en train de perdre.