Ignazio Cassis, une promotion de la paix qui dépolitise le conflit israélo-palestinien

Réunion israélo-suisse à Jérusalem. Photo: Aline Jaccottet

En visite en Israël, le conseiller fédéral en charge des Affaires étrangères a présenté un programme qui met au second plan la résolution politique des conflits agitant la région

Ignazio Cassis était de passage dimanche à Jérusalem. Une visite lors de laquelle il a rencontré le ministre israélien des Affaires étrangères, Gabi Ashkenazi, avant de voir le premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, et celui des Affaires étrangères, Riyad al-Malki, à Ramallah.

Son objectif: promouvoir la première stratégie élaborée par Berne pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord 2021-2024. «Ignazio Cassis adopte des stratégies pour essayer de clarifier la direction dans laquelle il va, afin d’attirer le soutien de davantage de Suisses. Depuis le début, il répète que la politique extérieure, c’est en réalité de la politique intérieure: il faut avant tout convaincre le peuple», relève Laurent Goetschel, directeur de Swisspeace et professeur de science politique à l’Université de Bâle.

«Il faut trouver autre chose»

Interrogé par Le Temps à Jérusalem dix-sept ans après l’infortunée Initiative de Genève, le ministre a été clair: les grandes manœuvres politiques de Berne pour résoudre le conflit n’ayant pas fonctionné, il faut faire place à une autre stratégie. «La Suisse a appris du passé que certaines initiatives ne passent pas: il faut trouver autre chose.» Place à la paix par la coopération dans la science, le high-tech et l’innovation, «des instruments politiques permettant d’atteindre la paix et la stabilité», a-t-il précisé.

Cela fait quelque temps déjà que la Suisse soutient des projets dans le domaine technologique ou scientifique au Proche-Orient afin de faciliter les contacts. La science par la diplomatie et la diplomatie par la science, voilà le leitmotiv de l’ambassade de Suisse à Tel-Aviv. Le projet phare, c’est le sauvetage de la barrière de corail dans le golfe d’Aqaba. Sous l’égide de l’EPFL, des spécialistes israéliens, jordaniens, égyptiens et peut-être même saoudiens devaient passer cet été plusieurs semaines en mer Rouge sur le Fleur de Passion, un voilier battant pavillon suisse. Un projet remis à plus tard à cause du coronavirus.

Il y a aussi… les chouettes. Berne soutient ainsi le projet de conservation et de préservation «Owl For Peace» du Fribourgeois Alexandre Roulin, professeur au Département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne. Un programme de conservation israélien, jordanien et palestinien consistant depuis 2002 à poser des nichoirs de part et d’autre des frontières pour observer et préserver ces oiseaux. Berne met aussi l’accent sur l’innovation et l’emploi des jeunes, en offrant un toit aux initiatives favorisant les échanges entre innovateurs israéliens et palestiniens.

La dimension politique écartée

La manière dont le ministre suisse des Affaires étrangères a défini les objectifs supposés des acteurs du conflit israélo-palestinien révèle à quel point la politique est finalement secondaire dans son action. «Nous avons défini des priorités pour chaque pays. Israël mise sur l’innovation et la science, des domaines dans lesquels il a beaucoup à partager avec la Suisse. Et pour les Palestiniens, ce qui compte avant tout, c’est l’aide humanitaire, puis un soutien au développement de leur économie», a-t-il expliqué en interview. Exit le statut de Jérusalem, le retour des réfugiés ou la solution à deux Etats, même si Ignazio Cassis a souligné en conférence de presse son «soulagement» à la perspective que la normalisation des liens avec les pays du Golfe puisse «suspendre les projets d’annexion» israélienne de la Cisjordanie.

Cette vision qui écarte la dimension politique du conflit fait réagir Laurent Goetschel: «En formulant ainsi les priorités des Palestiniens, le conseiller fédéral marginalise les questions au cœur du problème. Ignazio Cassis partage les vues du président du Forum économique mondial pour qui renforcer le tissu économique contribue à la paix. Lutter contre la pauvreté, c’est bien, mais c’est la terre et non l’argent qui est au cœur du conflit israélo-palestinien!» critique cet expert de la politique étrangère de la Suisse. Il voit un autre problème au fait de centrer l’action de la Suisse sur la science ou le high-tech: «Cela augmente encore l’asymétrie des contacts, puisque dans ces domaines, les Israéliens ont beaucoup plus à offrir que les Palestiniens.»

La paix par le business, c’est pourtant un concept qui marche pour Israël. Nombre d’analystes ont souligné les gains économiques, notamment sur le plan du commerce militaire, des Accords d’Abraham signés cet automne entre Israël, le Bahreïn et les Emirats arabes unis. Abu Dhabi est d’ailleurs lundi la dernière étape de la visite régionale d’Ignazio Cassis.