En Israël, la révolte des femmes arabes face aux violences

Samah Salaime chez elle, dans le village binational Wahat Al Salam – Neve Shalom. Photo: Aline Jaccottet

Davantage victimes de violences que leurs concitoyennes juives, les Arabes israéliennes sont toujours plus nombreuses à se mobiliser dans des organisations féministes.

Ce soir encore, elle ne reculera pas. Un foulard rose autour du cou et dans sa sacoche, un ordinateur plein des chiffres et des photos qui disent les vies fauchées par la violence d’un père, d’un frère ou d’un mari, Samah Salaime avance d’un pas sûr vers le centre communautaire de Qalansawe. Une bourgade arabe défavorisée du centre d’Israël, où les féministes comme elle ne sont pas les bienvenues. Il y a dix jours, les menaces d’islamistes du coin ont poussé la députée du Parlement israélien Aïda Touma-Slimane à renoncer à une intervention publique sur les violences de genre.

Des crimes impunis

Samah a, elle, relevé le défi. Engagée depuis vingt ans pour les droits des femmes et des Arabes d’Israël, cette habitante du village binationale Wahat Al Salam Neve Shalom est la première Arabe israélienne dans le classement Forbes des femmes les plus influentes au monde. Un titre qui salue sa persévérance. En Israël, un féminicide sur deux a lieu dans la communauté arabe d’Israël alors qu’elle ne représente que 21% de la population de ce pays, et « les responsables ne sont quasi jamais arrêtés et rarement poursuivis, contrairement aux agresseurs de femmes juives », glisse Samah avant de franchir la porte d’entrée du centre communautaire.

Une violence multifactorielle

Les motifs de cette situation sont multiples, comme l’explique la juge retraitée et militante féministe Saviona Routh-Levi qui a consacré sa vie aux droits des enfants. « La criminalité : la mafia arabe prolifère et la police ne parvient pas à la combattre ou n’en a pas la volonté. La prolifération des armes et munitions illégales. Les conditions de vie : un tiers des enfants arabes vit sous le seuil de pauvreté. L’absence d’infrastructures sociales et de santé pour aider les femmes qui en auraient besoin. La méfiance envers l’Etat. Et la loi du silence qui entoure les règlements de compte où les femmes sont la cible des vengeances, mais aussi les crimes commis dans la famille ».

L’égalité absente des lois fondamentales

L’origine de ces maux réside dans la manière dont l’Etat d’Israël s’est construit, estime l’ancienne juge. « Nos pères fondateurs tenaient l’égalité entre hommes et femmes et entre citoyens juifs et non-juifs pour essentielle, or elle n’a été inscrite dans aucune de nos lois fondamentales », déplore-t-elle. Une lacune juridique dont les conséquences se font sentir plus durement à mesure que le conservatisme religieux progresse en Israël. « La clé du problème, c’est l’éducation. Tant qu’on apprendra aux garçons et aux filles qu’ils n’ont pas la même valeur, rien ne changera », affirme Saviona Ruth-Levi. La situation des Arabes d’Israël a quant à elle empiré sur le plan formel avec l’adoption de ladite « loi sur l’Etat-nation » qui inscrit juridiquement leur statut d’inférieurs. Jusqu’à présent, aucun des recours présentés à la Cour Suprême n’a été jugé recevable par les juges. Résultat : victimes d’une discrimination à la fois comme femmes et comme arabes, la voix de ces citoyennes israéliennes est quasi inaudible.

Pas avec Samah. Ce soir, plus encore qu’écoutée, elle sera entendue par la quinzaine de femmes voilées qui ont bravé la désapprobation pour partager ce moment de sororité fait de quelques rires, de nombreuses douceurs à grignoter et de beaucoup de soupirs consternés. « Je voulais qu’elles sachent que nous parlons le même langage malgré nos différences, et que ce combat contre les violences nous appartient à toutes », affirme la militante à la fin de son intervention. Message reçu cinq sur cinq par Oum Mahmoud. Enveloppée dans ses châles, la matrone s’enthousiasme : « Ce que dit Samah est pure vérité ! »

L’impact positif du coronavirus

Des paroles qui toujours plus, se traduisent en actes. Si le gouvernement empêtré dans la gestion du coronavirus et une quatrième élection en deux ans n’est pas près de bouger, les femmes israéliennes, juives ou non, sont toujours plus nombreuses à se mobiliser. Et toujours plus, elles réfléchissent, discutent et battent le pavé ensemble. Une convergence féministe accélérée notamment par le mouvement Metoo et qui a pris de l’ampleur en 2020 grâce…. Au coronavirus. « En entravant voire en rendant impossibles les rencontres en chair et en os, ce virus nous a forcées, comme tout le monde, à nous redéployer sur Internet. L’usage systématique de Zoom et Skype a ouvert un nouveau monde de possibilités », s’enthousiasme Samah Salaime. En 2020, des milliers de femmes palestiniennes et israéliennes d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza ont ainsi échangé massivement et même, manifesté à distance.

La fin du patriarcat « irrémédiable »

Un pas vers l’autre qui prend du temps. « La règle du mouvement féministe, c’est de trouver les femmes là où elles sont, dans leur vie et dans leur esprit. Celles de Qalansawe ne sont pas encore prêtes à collaborer avec des Israéliennes juives, mais tout est possible. Après tout, il m’a fallu vingt ans pour me tenir ici ce soir », sourit Samah Salaime. Un long chemin soutenu par une conviction : « La fin du patriarcat est irrémédiable, même si cela doit prendre encore cinquante ans », conclut-elle en réajustant fièrement son foulard rose autour du cou.