Une marée noire révèle les failles israéliennes en matière d’écologie

Crédit photo: Shlomi Ben Shimol / GPO

Israël affronte sa pire catastrophe écologique depuis des années. L’événement révèle le peu d’importance que revêtent les questions environnementales dans la politique du pays

Plus de 180 kilomètres noircis par la pollution. Triste spectacle sur les côtes israéliennes dont la moitié sont salies par des tonnes de goudron depuis le 18 février. Un désastre dont l’origine est encore à déterminer: un navire grec, le Minerva Helena, a été soupçonné puis blanchi et désormais, une dizaine de navires sont dans la ligne de mire des enquêteurs.

En attendant, les conséquences sont tristement connues. «De la bactérie à la baleine, d’innombrables êtres vivants en meurent sans compter la toxicité de cette substance qui met en danger toute la chaîne alimentaire», souligne Ilana Berman-Frank, directrice de l’Ecole des sciences maritimes de l’Université de Haïfa.

Une pollution d’autant plus dangereuse que son impact à long terme est imprévisible. «Le goudron peut être accumulé, dispersé ou refluer de diverses manières selon les courants et les températures. Une partie coulera au fond de l’océan où elle affectera les zones les plus protégées de l’écosystème maritime», explique la spécialiste.

Sur terre, on ressent déjà les conséquences de cet événement. Non seulement les plages sont fermées, mais le Ministère de la santé a interdit jusqu’à nouvel ordre la vente de pêche issue de la Méditerranée. Des craintes pèsent aussi sur la qualité de l’eau potable dont les trois quarts proviennent d’eau de mer désalinisée.

Récolter le goudron à la main

Pour sauver ce qui peut l’être, des centaines d’Israéliens se sont mobilisés ces derniers jours. C’est qu’il faut collecter le goudron à la main: les machines ne peuvent opérer car leurs tamis risquent d’être obstrués par cette substance. Un travail pénible et dangereux qui a mené plusieurs bénévoles intoxiqués à l’hôpital, mais qui a permis de récolter pas moins de 70 tonnes de goudron et de matériaux contaminés.

L’action des citoyens israéliens montre à quel point cet événement a provoqué l’émoi dans le pays. «La plage, c’est tout ce qui reste aux gens pour respirer un peu en cette période de coronavirus», relève Jonathan Aikhenbaum, directeur de Greenpeace en Israël. Reste à savoir si, du côté politique, une fois passé les déclarations scandalisées et le fonds d’urgence de 13,8 millions épuisé, quelque chose changera vraiment. «Le budget dédié à l’environnement est quasi inexistant malgré le fait que la ministre qui en est chargée est vraiment compétente. Il manque une prise de conscience, des ressources, des processus efficaces», estime l’écologiste.

La gestion de cette catastrophe montre à quel point les failles sont profondes. Un laps de temps de plusieurs jours s’est par exemple écoulé entre le moment où l’existence de cette pollution a été signalée au gouvernement et le moment où il a donné l’alerte. «Il semblerait que leur système de repérage qui n’est pas au point les ait poussés à sous-estimer la gravité de la situation. Pourtant cela faisait deux ou trois semaines au moins que cette masse flottait dans la Méditerranée. Et ce n’est pas très compliqué d’améliorer la technologie satellitaire en cause», affirme Jonathan Aikhenbaum.

Récif en danger

Une telle défaillance alors qu’Israël est réputé pour être la «nation high-tech», il y a là un paradoxe. «Contrairement à une attaque iranienne, la menace environnementale n’est généralement pas immédiate et concrète. Cette absence de conscience est entretenue par une culture politique basée sur la peur des menaces sécuritaires», critique-t-il.

«Tant qu’Israël n’aura pas effectué sa transition énergétique vers le renouvelable, ce genre de catastrophe surviendra», déplore Ilana Berman-Frank. Il est d’ailleurs question, dans les deux prochaines années, d’un projet de transport maritime de pétrole émirati vers Eilat. L’accord a été signé en octobre à la suite de la normalisation des relations entre Israël et les Emirats arabes unis. «Le risque de fuites est énorme car les infrastructures pétrolières sont vieillissantes», s’alarme la scientifique. Ce projet met en danger une merveille naturelle: le récif corallien de la mer Rouge, jusqu’à présent le seul, dans le monde, à résister au changement climatique.

La marée noire qui a frappé les côtes pourrait bien remobiliser les Israéliens contre cette initiative. Signe que le gouvernement sent combien l’affaire est sensible, le tribunal de Haïfa a imposé un devoir de réserve aux enquêteurs chargés de déterminer la cause de la catastrophe. Une procédure qui ne s’est jamais vue concernant des catastrophes écologiques, souligne Jonathan Aikhenbaum de Greenpeace. «Le gouvernement israélien ne peut pas prendre le risque d’un faux pas à trois semaines des élections.»