Entrée historique de l’extrême droite au parlement israélien

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Après des élections donnant Netanyahou en tête sans garantie de sortir de l’impasse, le pays voit pour la première fois des ultraradicaux devenir députés

C’est l’aboutissement de vingt-six ans d’une sombre évolution. Celle qui mène les héritiers idéologiques du seul parti juif classé terroriste et interdit du parlement à en franchir les portes vingt-six ans plus tard. Celle qui mène de la haine envers le premier ministre assassiné Yitzhak Rabin au soutien du premier ministre Benyamin Netanyahou. Six sièges sur 120 pour le Parti religieux sioniste, le chiffre pourrait sembler anecdotique si le symbole n’était pas si puissant.

A la tête de cette formation, il y a Betzalel Smotrich. Un juif orthodoxe habitant un avant-poste en marge d’une colonie de Cisjordanie et qui se consacre à ôter aux Arabes leurs permis de construction, qu’ils vivent en Cisjordanie ou en Israël. Ouvertement raciste, il est aussi violemment homophobe.

Quant au numéro 3, Itamar Ben-Gvir, c’est un suprémaciste qui revendique l’héritage idéologique de Meir Kahane. Un rabbin qui avait inspiré Baruch Goldstein, le colon israélo-américain responsable du massacre de 29 Palestiniens en prière dans le tombeau des Patriarches à Hébron en 1994. Itamar Ben-Gvir défend par ailleurs les responsables de crimes de haine et a créé une association qui traque les mariages interreligieux. «Dans sa tentative effrénée d’échapper à ses procès, Benyamin Netanyahou cherche du soutien même auprès des extrémistes, au risque de s’aliéner son électorat modéré s’il gouverne avec eux», relève Yohanan Plesner, directeur de l’Institut d’Israël pour la démocratie.

Garantie d’immunité

L’espoir du premier ministre: un parlement qui vote des lois lui garantissant l’immunité. Ce n’est pas gagné. Pour la septième fois en trente ans de carrière, Benyamin Netanyahou serait incapable de former une coalition, selon les premiers résultats. Son parti, le Likoud, est loin devant tous les autres avec plus de 30 sièges. En revanche, le bloc de droite qui le soutient, composé des partis religieux sionistes et ultra-orthodoxes, n’arriverait pas aux 61 députés nécessaires. Il n’en aurait que 59 et encore, il lui faudrait convaincre des politiciens qui ne le soutiennent pas spontanément. Comme Naftali Bennett, un homme très apprécié des colons car réputé intègre et inflexible, dont le parti, Yamina, aurait gagné sept sièges. Le hic, c’est qu’il déteste Benyamin Netanyahou même s’il ne l’a jamais défié ouvertement au vu de la proximité idéologique entre ses électeurs et ceux du premier ministre.

Deux ans de campagnes électorales et toujours pas de gouvernement en vue, la paralysie devient désespérante. Elle est portée aussi par l’immobilisme des électeurs eux-mêmes. «L’agenda politique a été bouleversé puisqu’on est passé des questions sécuritaires à la pandémie de coronavirus, mais l’effet sur l’opinion a été quasi nul», souligne Yohanan Plesner. On est même revenu à des résultats identiques à ceux d’avril 2019. Difficile dans ce contexte d’imaginer mobiliser les citoyens pour une cinquième élection. Le taux de participation a d’ailleurs chuté dans certains segments de la population. «Quelque 50% des Arabes israéliens se sont déplacés, contre 64% la dernière fois. Avec un impact important sur la gauche et les partis arabes qui n’obtiendraient que 40 sièges environ», explique l’analyste de l’Institut d’Israël pour la démocratie.

Jeu complexe

Où va Israël? Il est trop tôt pour le dire. Un jeu long et complexe d’alliances commence, et tout semble possible. «Attachez vos ceintures, parce que ça va décoiffer si Netanyahou intègre les extrémistes du Parti sioniste religieux dans le gouvernement: ça tournera au cauchemar de gouvernance», prédit Yohanan Plesner. Si aucun accord n’est trouvé quelles que soient les circonvolutions, il pourrait aussi y avoir une cinquième élection. Puis une sixième? Et une septième? «Ce cirque durera tant que Benyamin Netanyahou est dans les parages», affirme le directeur de l’Institut d’Israël pour la démocratie.

Le premier ministre est à la fois si populaire qu’aucun gouvernement ne peut se faire sans lui, et si coincé par ses affaires judiciaires qu’il ne peut se passer du soutien ultra-orthodoxe. «Pour qu’on s’en sorte, il faudrait soit l’évincer, soit qu’il trouve une manière de se sortir de son pétrin judiciaire, soit qu’il obtienne une claire majorité sans ses alliés très religieux», conclut Yohanan Plesner. Quant à une réforme du système, elle ne peut être décidée que par un gouvernement élu. Un serpent qui se mord la queue alors qu’Israël aurait besoin plus que jamais d’un budget et d’un regain d’unité pour faire face aux défis de sa reconstruction après le coronavirus.