Netanyahou, le roi nu d’Israël

Photo: IStock

En cherchant à écarter le premier ministre du pouvoir, ses anciens alliés ébranlent une rhétorique vieille de dix ans

Israël vit une révolution. Après trente ans de règne sur la droite qui elle-même domine le pays depuis la défaite de la guerre de Kippour en 1973, voilà le premier ministre, Benyamin Netanyahou, plus près de la sortie que jamais. Non seulement la droite religieuse lui a faussé compagnie pour s’allier au centre gauche, mais voilà que l’union autour de lui se fissure jusqu’au sein du Likoud. «Des responsables du parti me disent qu’ils veulent le voir remplacé. Un accord implicite prévoit qu’il ne peut rester chef du parti que s’il garde son poste de premier ministre, et tout le monde sent le vent tourner», affirme l’analyste Eytan Gilboa. Mercredi, un sondage publié par la radio de l’armée annonçait d’ailleurs que 47,3% de «likoudnikim», comme on appelle en Israël les électeurs du Likoud, souhaitent son retrait. Cela permettrait au parti, premier du pays avec 30 sièges sur 120 à la Knesset, de rejoindre la coalition de Yaïr Lapid.

Un air de coup d’Etat

Le premier ministre peut cependant toujours compter sur le soutien d’une grande partie des membres du Likoud mais également de l’extrême droite et des élus ultraorthodoxes qui auraient tout à perdre à la chute de leur allié. «J’ai l’impression d’assister à un coup d’Etat: des Israéliens qui ont voté à droite voient leurs élus rejoindre la gauche et même les Arabes israéliens. C’est n’importe quoi», affirme, furieuse, Liora Lévy, une militante du Likoud qui travaille à la municipalité de Netanya. Outre les manifestations sous les fenêtres des élus de la droite, certains «bibistes» en colère sont allés ces derniers jours jusqu’à menacer de mort le chef du parti Yamina, Naftali Bennett, que le Shin Bet, les services secrets intérieurs, a placé sous protection exceptionnelle.

Ces pressions iront croissant jusqu’à ce que le parlement vote sur la composition du gouvernement d’ici à une semaine, prédit la professeure de science politique à l’Université hébraïque de Jérusalem Gayil Talshir. «Délégitimer, attaquer, désunir, voilà ce que fait Benyamin Netanyahou. Ce ne sont pas que des mots: il a bouleversé le système», affirme l’experte, auteure d’un ouvrage sur la trajectoire politique du premier ministre. Ce qui a fait basculer le «roi d’Israël» dans l’attaque des institutions, c’est le début de son procès pour corruption il y a dix ans. «Se sentant menacé, il a commencé à diaboliser systématiquement les instances judiciaires, la minorité arabe, la gauche… Il est devenu paranoïaque. Aujourd’hui, il ne parle à personne sans enregistrer la discussion. Il n’a plus aucun ami», raconte Gayil Talshir.

Sa spectaculaire mise à l’écart par la droite israélienne ne doit ainsi rien au hasard. Autrefois mentor, désormais retors, Netanyahou atteint aujourd’hui les limites du système qu’il a construit. «Lorsqu’ils ont intégré le gouvernement, ses fidèles de droite ont réalisé qu’eux aussi pouvaient se voir dénigrés par le premier ministre au moindre faux pas», explique la professeure de science politique à l’Université hébraïque de Jérusalem. Anciens ministres, conseillers voire amis, nombre de chefs de la droite qui composent la coalition pressentie pour évincer Netanyahou l’ont un jour aimé et admiré.

Perçu comme un sauveur

Il a fallu qu’à leur déception personnelle s’ajoutent une crise politique et une pandémie pour qu’ils se retournent contre lui. Le basculement a eu lieu «au fil de ces quatre dernières élections: les élus qui l’appréciaient ont réalisé qu’en s’accrochant à tout prix au pouvoir, Netanyahou plaçait ses intérêts judiciaires au-delà de ceux de la droite et du pays tout entier, comme lorsqu’il a refusé en pleine crise du covid d’approuver le budget de l’Etat juste pour faire pression sur son adversaire Benny Gantz», relate Gayil Talshir. Pour elle, Netanyahou reste si influent que même les tentatives de l’écarter du pouvoir n’ont été possibles que par son malencontreux concours. «Yaïr Lapid et Naftali Bennett ne se sont sentis autorisés à intégrer les Arabes israéliens du parti Raam que parce que Bibi avait auparavant ouvert les discussions avec eux. Ce pays manque de leaders courageux», tacle-t-elle.

Devenir calife à la place du calife, pas facile alors que Netanyahou qui se targue d’une longévité politique exceptionnelle est encore largement perçu comme le sauveur de la nation. La tâche est d’autant plus corsée que Naftali Bennett, le chef de la droite religieuse qui pourrait devenir premier ministre jusqu’en 2023, a réalisé un score particulièrement faible. «Voir un homme diriger Israël en n’ayant remporté que 6 sièges sur 120, c’est de la science-fiction, un déni de démocratie. On n’y reprendra plus la plupart des 290 000 Israéliens qui ont voté pour lui: ils se sentent trahis par son alliance avec la gauche», s’exclame la militante du Likoud Liora Lévy. De fait, mercredi prochain, c’est la première fois de l’histoire d’Israël qu’un homme deviendrait premier ministre en ayant obtenu moins de 26 sièges à la Knesset. Le conditionnel est de mise, car la semaine s’annonce longue.