Pegasus, l’arme diplomatique d’Israël

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Le gouvernement israélien lance une enquête sur l’exportation de Pegasus, mais il a lui-même favorisé la vente de produits de NSO Group au nom des intérêts nationaux

Le gouvernement israélien a nommé jeudi une commission d’enquête interministérielle suite aux révélations autour des ventes de NSO Group. « Nous devons certainement revoir de fond en comble les licences accordées par l’agence de contrôles d’exportation de la Défense », a affirmé le député Ram Ben Barak, à la tête de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset.

Considéré comme une arme selon la loi israélienne, le logiciel Pegasus doit en effet recevoir l’approbation du ministère de la Défense avant d’être vendu à l’étranger. La situation des droits de l’homme et de la démocratie d’un pays intéressé à l’acquérir est passée en revue, mais ce n’est pas le seul facteur. « En ce qui concerne les exportations militaires, un certain nombre de considérations de nature défensive, sécuritaire, diplomatique et stratégique sont prises en compte », précisait jeudi un communiqué du Ministère de la Défense. En d’autres termes, le gain diplomatique est soigneusement évalué. Rien de nouveau dans cette pesée d’intérêts, mais ces dernières années, le partenariat entreprises-gouvernement est encore renforcé par la présence « massive d’anciens militaires et représentants de l’Etat » dans les entreprises israéliennes de cybersurveillance qui cartonnent, souligne Jonathan Klinger, avocat spécialiste de l’Internet en Israël.

La convergence des intérêts commerciaux et stratégiques semble évidente à la lecture de la liste, établie par le consortium d’investigation Forbidden Stories, des pays qui ont acquis Pegasus. Tous ont soit entamé, soit renforcé leurs liens avec l’Etat d’Israël ces dernières années, sous l’impulsion du Premier ministre Netanyahou qui, relevait le quotidien Haaretz, a fait de ce logiciel une véritable arme diplomatique. Premier exemple : la Hongrie. Le premier numéro de téléphone hongrois surveillé par Pegasus est apparu le jour même où Benjamin Netanyahou devenait le premier chef d’Etat israélien à se rendre à Budapest, en juillet 2017. Un rapprochement avec le gouvernement autoritaire et conservateur de Viktor Orban dont Israël recueille les fruits, puisque la Hongrie s’aligne sur ses intérêts au sein des institutions européennes. En mai par exemple, Budapest a empêché une déclaration européenne appelant à la fin des hostilités entre le Hamas et Israël. On pourrait aussi citer l’Inde puisque les premiers numéros apparaissent dans la base de données de NSO Group en juillet 2017 au moment de la visite du Premier ministre Modi en Israël.  Et l’Arabie saoudite, qui a recouru à Pegasus dans l’assassinat du journaliste Jamal Kashoggi et servi de pont entre Israël et les pays du Golfe lors de la conclusion des Accords d’Abraham en 2020.

Une stratégie que l’ampleur du scandale pourrait forcer le gouvernement israélien à revoir, relève cependant l’avocat israélien Jonathan Klinger : «Il doit préserver sa réputation. Si son enquête indépendante venait à conclure que NSO a mal agi, je crois que des leçons seraient tirées et que les règles changeraient ».